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monarque légitime dans la patrie. On aurait pu y voir aussi la malédiction patriotique contre l’intrusion étrangère :

Mon héritage est las de se voir votre proie,

s’écriait Télémaque à la face des prétendans[1]. Le fait est que les illusions ne venaient que de pur hasard et de coïncidence, la pièce se trouvant achevée depuis plus de trois ans et l’auteur n’y ayant rien changé. À la lecture, il y transpire quelque chose des douces et graves beautés d’Homère. Dans la première scène, Pénélope dit à Télémaque qui voudrait encore espérer :

Le séjour qui d’Ulysse a retenu les pas,
Ô mon fils, est un lieu d’où l’on ne revient pas,
Dont nul homme jamais n’apporta de nouvelle ;
Formidable séjour de la nuit éternelle,
Et dont les habitans, pâles et désolés,
Sont de leur doux pays à jamais exilés.
S’il respirait encor, dis-moi, la renommée,
Cette immortelle voix par la terre semée,
Eût-elle été muette ? et quel pays lointain
Aurait pu si long-temps nous taire son destin ?
Je sais trop bien entendre un semblable silence.

Au commencement du troisième acte, Ulysse inconnu, et qui se donne pour un simple compagnon du héros, y parle ainsi indirectement de lui-même à son fils :

Il se peignait souvent ces rivages chéris,
Où l’attendaient en vain Pénélope et son fils.
Quelques maux dont il vît sa tête menacée,
Ithaque était toujours sa première pensée ;
Quelque bien que le ciel lui permît de choisir,
Ithaque était encor son unique désir.
En vain le soin des dieux et l’amour des déesses
Environna son cœur des plus douces promesses ;
À l’offre du ciel même et des divins honneurs,
Il fixait sur la mer un œil mouillé de pleurs.
Si de loin sa pensée entrevoyait une île
Abondante en troupeaux, en oliviers fertile,
Il n’apercevait plus d’autre lieu, d’autre bien,
Et l’immortalité ne lui semblait plus rien.

  1. Mlle Duchesnois faisait Télémaque.