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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

style en général était assez pauvre sous l’Empire et servait mal l’aspiration de la pensée. César montait droit à l’Olympe ; la pensée à sa suite y visait de son mieux, mais le style n’allait pas du tout. Il s’était amaigri et comme desséché en passant durant des années par tant d’usages peu littéraires ; il s’était altéré au souffle des révolutions, et, comme on ne s’en rendait pas compte, comme on se croyait toujours classique, on ne le retrempait pas. Quand je parle ainsi de l’Empire et de sa grande route régulière, il va sans dire que M. de Châteaubriand et Mme de Staël sont toujours en dehors. Pourtant, avec la prétention, le goût aussi de l’antique reprenait ; l’étude ramenait à des sources. M. Lebrun fut un de ceux qui, dès le début, accusent en eux avec le plus d’intelligence le culte et le sentiment des anciens : c’est le mérite de son Ulysse.

Lemercier avait rouvert le premier, avec bien de l’honneur, cette scène grecque-française, et renoué avec Andromaque par Agamemnon. Marie-Joseph Chénier, conseillé par Daunou, revenait, bien qu’un peu tard, aux anciens, et s’initiait aux douleurs d’Électre. Un sourire du maître, plus que le talent de Luce, faisait la fortune d’Hector. Ulysse est de cette famille ; mais, suivant la très juste remarque de Charles Nodier, un moment continuateur de Geoffroy au feuilleton des Débats[1], Ulysse, personnage épique, ou tout au plus personnage dramatique du second ordre, ne pouvait être le héros d’une bonne tragédie ; il a trop de finesse pour cela. Sophocle dans Philoctète l’a pu faire servir à nouer l’intrigue ; mais il ne l’a pas mis au premier plan. C’est un caractère d’âge mûr, beau à la réflexion, mais qui en a besoin pour se justifier, et qui n’offre rien de ces dehors émouvans où se prend la foule au premier abord. À Télémaque lui-même qui s’étonne de tant de prudence, Ulysse a besoin de dire :

Peut-être tu sauras, par l’exemple d’un père,
Que parfois au héros la feinte est nécessaire ;
Qu’elle est vertu souvent, et qu’avec le danger
La forme du courage est sujette à changer[2].

La pièce jouée pour la première fois le 28 avril 1814, cinq jours avant la rentrée de Louis XVIII dans sa capitale, n’eut qu’un petit nombre de représentations, ce qu’on appelait un succès d’estime. On y crut voir pourtant un intérêt de circonstance, le retour de l’exilé, du

  1. 30 avril 1814.
  2. Acte III, scène II.