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quitter ma robe de chambre, où les jours auraient douze heures, où je pourrais m’affranchir de tous les devoirs du savoir-vivre, me détacher du mouvement d’esprit qui nous travaille tous en France, et consacrer un ou deux ans à étudier un peu l’histoire et à apprendre ma langue par principes avec mes enfans.

Quel est celui de nous qui n’a pas fait ce rêve égoïste de planter là un beau matin ses affaires, ses habitudes, ses connaissances et jusqu’à ses amis, pour aller dans quelque île enchantée vivre sans soucis, sans tracasseries, sans obligations et surtout sans journaux ? L’on peut dire sérieusement que le journalisme, cette première et cette dernière des choses, comme eût dit Ésope, a créé aux hommes une vie toute nouvelle, pleine de progrès, d’avantages et de soucis. Cette voix de l’humanité qui vient chaque matin à notre réveil nous raconter comment l’humanité a vécu la veille, proclamant tantôt de grandes vérités, tantôt d’effroyables mensonges, mais toujours marquant chacun des pas de l’être humain, et sonnant toutes les heures de la vie collective, n’est-ce pas quelque chose de bien grand, malgré toutes les taches et les misères qui s’y trouvent ? Mais, en même temps que cela est nécessaire à l’ensemble de nos pensées et de nos actions, n’est-ce pas bien affreux et bien repoussant à voir dans le détail, lorsque la lutte est partout, et que des semaines, des mois s’écoulent dans l’injure et la menace, sans avoir éclairé une seule question, sans avoir marqué un progrès sensible ? Et dans cette attente qui paraît d’autant plus longue qu’on nous en signale toutes les phases minutieusement, ne nous prend-il pas souvent envie, à nous autres artistes qui n’avons point d’action au gouvernail, de nous endormir dans les flancs du navire, et de ne nous éveiller qu’au bout de quelques années pour saluer alors la terre nouvelle en vue de laquelle nous nous trouvons portés ? Oui, en vérité, si cela pouvait être, si nous pouvions nous abstenir de la vie collective, et nous isoler de tout contact avec la politique pendant quelque temps, nous serions frappés, en y rentrant, du progrès accompli hors de nos regards. Mais cela ne nous est pas donné, et, quand nous fuyons le foyer d’action pour chercher l’oubli et le repos chez quelque peuple à la marche plus lente et à l’esprit moins ardent que nous, nous souffrons là des maux que nous n’avions pu prévoir, et nous nous repentons d’avoir quitté le présent pour le passé, les vivans pour les morts.

Voilà tout simplement quel sera le texte de mon récit, et pourquoi je prends la peine de l’écrire, bien qu’il ne me soit point agréable