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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

ment malade. La traversée, la mauvaise odeur et l’absence de sommeil n’avaient pas contribué à diminuer ses souffrances. Le capitaine n’avait eu d’autre attention pour nous que de nous prier de ne pas faire coucher notre malade dans le meilleur lit de la cabine, parce que, selon le préjugé espagnol, toute maladie est contagieuse ; et comme notre homme pensait déjà à faire brûler la couchette où reposait le malade, il désirait que ce fût la plus mauvaise. Nous le renvoyâmes à ses cochons, et quinze jours après, lorsque nous revenions en France sur le Phénicien, un magnifique bateau à vapeur de notre nation, nous comparions le dévouement du Français à l’hospitalité de l’Espagnol. Le capitaine d’el Mallorquin avait disputé un lit à un mourant ; le capitaine marseillais, ne trouvant pas notre malade assez bien couché, avait ôté les matelas de son propre lit pour les lui donner… Quand je voulus solder notre passage, le Français me fit observer que je lui donnais trop ; le Majorquin m’avait fait payer double. D’où je ne conclus pas que l’homme soit exclusivement bon sur un coin de ce globe terraqué, ni exclusivement mauvais sur un autre coin. Le mal moral n’est, dans l’humanité, que le résultat du mal matériel. La souffrance engendre la peur, la méfiance, la fraude, la lutte dans tous les sens. L’Espagnol est ignorant et superstitieux ; par conséquent il croit à la contagion, il craint la maladie et la mort, il manque de foi et de charité. Il est misérable et pressuré par l’impôt ; par conséquent il est avide, égoïste, fourbe avec l’étranger. Dans l’histoire, nous voyons que là où il a pu être grand, il a montré que la grandeur était en lui ; mais il est homme, et dans la vie privée, là où l’homme doit succomber, il succombe. J’ai besoin de poser ceci en principe avant de parler des hommes tels qu’ils me sont apparus à Majorque, car aussi bien j’espère qu’on me tient quitte de parler davantage des olives, des vaches et des pourceaux. La longueur même de ce dernier article n’est pas de trop bon goût. J’en demande pardon à ceux qui pourraient s’en trouver personnellement blessés, et je prends maintenant mon récit au sérieux ; car je croyais n’avoir rien à faire ici, qu’à suivre M. Laurens pas à pas dans son Voyage d’art, et je vois que beaucoup de réflexions viendront m’assaillir malgré moi en repassant par la mémoire dans les âpres sentiers de Majorque.

II.

Mais, puisque vous n’entendez rien à la peinture, me dira-t-on, que diable alliez-vous faire sur cette maudite galère ? — Je voudrais