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— mais une autre Marie, celle des actes et des faits, le vrai sang des Guises, l’altière fille de Lorraine, l’élève de Catherine de Médicis, toute ardeur et toute énergie, esclave de son instinct, incapable de dominer sa passion, aveugle en face des obstacles, marchant au précipice, infatigable dans ses intrigues, invincible dans ses entêtemens, attrayante, éloquente, vaine, spontanée, intrigante, impérieuse, nouant de ses mains la trame qui doit la perdre, voyant l’abîme et s’y lançant ; — toujours entraînée et entraînante, toujours séduisante et séduite ; — c’est quelque chose d’aussi intéressant qu’un poète.

Si Marie se préparait à régner et à faire triompher le catholicisme méridional, ses sujets calvinistes, barons et bourgeois du Nord, lui préparaient de cruels embarras. « Ce roi, disait Knox dans un de ses sermons, ce roi qui vient de périr, était à la messe lorsque Dieu lui envoya un apostume qui frappa cette oreille même, sourde à la parole de Dieu. Il mourut au moment où il s’apprêtait à verser le sang innocent ; il mourut, et sa gloire périt, et l’orgueil de son cœur endurci s’évanouit en fumée. » C’est ainsi qu’on parlait en chaire du mari que la reine d’Écosse venait de perdre.

À qui se fiera-t-elle ? Elle manque non d’activité, mais de prudence. Ses premières démarches sont des fautes. Elle confie ses secrets à son frère bâtard Murray, homme politique dont la sagacité avait deviné que le protestantisme était désormais la vie nécessaire et commune de l’Écosse et de l’Angleterre. Murray la trahit et livre les desseins, les plans, les espérances de la reine catholique à la souveraine protestante. Cette circonstance remarquable a été pour la première fois révélée par la découverte de la correspondance de Murray[1]. Ainsi, avant de s’embarquer pour l’Écosse, Marie était d’une part trahie, d’une autre abhorrée, et elle excitait, par un déploiement d’orgueil aussi noble que dangereux, le courroux d’Élisabeth. Tout ce qui l’environnait, témoin de cette étourderie, redoutant la reine d’Angleterre, ne manquait pas de trahir Marie ; et nous voyons dès cette époque, dans les documens que je cite, son frère Murray et son ambassadeur d’Oselle[2], devenus ses confidens, sans qu’elle ait éprouvé ou connu leur discrétion, n’user de sa confiance que pour la perdre. Éloquente et courageuse, dés qu’elle se voyait ou trahie ou insultée, elle s’élançait par son étourderie au-devant

  1. Archives d’Angleterre, Throckmorton à la reine, 29 avril 1561.
  2. Ibid., Throckmorton à Cecil, 26 juillet 1631