Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.
172
REVUE DES DEUX MONDES.

à celui de ces ignobles pourceaux dont le Majorquin est plus jaloux et plus fier que de vos fleurs embaumées et de vos pommes d’or ! Mais ce Majorquin qui vous cultive n’est pas plus poétique que le député qui me lit. Je reviens donc à mes cochons. Ces animaux, cher lecteur, sont les plus beaux de la terre, et le docte Miguel Vargas fait, avec la plus naïve admiration, le portrait d’un jeune porc qui, à l’âge candide d’un an et demi, pesait vingt-quatre arrobes, c’est-à-dire six cents livres. En ce temps-là, l’exploitation du cochon ne jouissait pas, à Majorque, de cette splendeur qu’elle a acquise de nos jours. Le commerce des bestiaux était entravé par la rapacité des assentistes ou fournisseurs, auxquels le gouvernement espagnol confiait, c’est-à-dire vendait l’entreprise des approvisionnemens. En vertu de leur pouvoir discrétionnaire, ces spéculateurs s’opposaient à toute exportation de bétail, et se réservaient la faculté d’une importation illimitée. Cette pratique usuraire eut le résultat de dégoûter les cultivateurs du soin de leurs troupeaux. La viande se vendant à vil prix et le commerce extérieur étant prohibé, ils n’eurent plus qu’à se ruiner ou à abandonner complètement l’éducation du bétail. L’extinction en fut rapide. L’historien que je cite déplore pour Majorque le temps ou les Mores la possédaient, et où la seule montagne d’Aria comptait plus de têtes de vaches fécondes et de nobles taureaux, qu’on n’en pourrait rassembler aujourd’hui, dit-il, dans toute la plaine de Majorque.

Cette dilapidation ne fut pas la seule qui priva le pays de ses richesses naturelles. Le même écrivain rapporte que les montagnes, et particulièrement celles de Torrella et de Galatzo, possédaient de son temps les plus beaux arbres du monde. Certain olivier avait quarante-deux pieds de tour et quatorze de diamètre ; mais ces bois magnifiques furent dévastés par les charpentiers de marine qui, lors de l’expédition espagnole contre Alger, en tirèrent toute une flottille de chaloupes canonnières. Les vexations auxquelles les propriétaires de ces bois furent soumis alors, et la mesquinerie des dédommagemens qui leur furent donnés, engagèrent les Majorquins à détruire leurs bois, au lieu de les augmenter. Aujourd’hui la végétation est encore si abondante et si belle, que le voyageur ne songe point à regretter le passé ; mais aujourd’hui comme alors, et à Majorque comme dans toute l’Espagne, l’abus est encore le premier de tous les pouvoirs. Cependant le voyageur n’entend jamais une plainte, parce qu’au commencement d’un régime injuste le faible se tait par crainte, et, quand le mal est fait, il se tait encore par habitude.