Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/174

Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
REVUE DES DEUX MONDES.

soleil était couché pour nous derrière les pics de montagnes qui nous entouraient, le thermomètre redescendait subitement à 9 et même à 8 degrés.

Les vents du nord y soufflent souvent avec fureur, et, dans certaines années, les pluies d’hiver tombent avec une abondance et une continuité dont nous n’avons en France aucune idée. En général, le climat est sain et généreux dans toute la partie méridionale qui s’abaisse vers l’Afrique, et que préservent de ces furieuses bourrasques du nord la cordilière médiane et l’escarpement considérable des côtes septentrionales. Ainsi, le plan général de l’île est une surface inclinée du nord-ouest au sud-est, et la navigation, à peu près impossible au nord à cause des déchirures et des précipices de la côte, escarpada y horrorosa, sin abrigo ni resguardo[1], est facile et sûre au midi.

Malgré ses ouragans et ses aspérités, Majorque, à bon droit nommée par les anciens l’Île Dorée, est extrêmement fertile, et ses produits sont d’une qualité exquise. Le froment y est si pur et si beau, que les habitans l’exportent, et qu’on s’en sert exclusivement à Barcelone pour la pâtisserie blanche et légère, appelée pan de Mallorca. Les Majorquins font venir de Galice et de Biscaye un blé plus grossier et à plus bas prix, dont ils se nourrissent ; ce qui fait que, dans le pays le plus riche en blé excellent, on mange du pain détestable. J’ignore si cette spéculation leur est fort avantageuse. Dans nos provinces du centre, où l’agriculture est le plus arriérée, l’usage du cultivateur ne prouve rien autre chose que son obstination et son ignorance. À plus forte raison en est-il ainsi à Majorque, où l’agriculture, bien que fort minutieusement soignée, est à l’état d’enfance. Nulle part je n’ai vu travailler la terre si patiemment et si mollement. Les machines les plus simples sont inconnues ; les bras de l’homme, bras fort maigres et fort débiles comparativement aux nôtres, suffisent à tout, mais avec une lenteur inouie. Il faut une demi-journée pour bêcher moins de terre qu’on n’en expédierait chez nous en deux heures, et il faut cinq ou six hommes des plus robustes pour remuer un fardeau que le moindre de nos portefaix enlèverait gaiement sur ses épaules.

Malgré cette nonchalance, tout est cultivé, et en apparence bien cultivé à Majorque. Ces insulaires ne connaissent point, dit-on, la misère ; mais au milieu de tous les trésors de la nature, et sous le plus beau ciel, leur vie est plus rude et plus tristement sobre que celle de

  1. Miguel de Vargas.