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proscrit par elles est tombé. Il est tombé, parce qu’au mépris de menaces officielles ou officieuses il voulait faire tenir à la France un langage digne d’elle, et compléter un armement sérieux. N’est-ce pas là pour la France un premier échec et une première humiliation ?

Ce n’est pas tout. Il est aujourd’hui parfaitement prouvé que, dès le début de la crise, il y a eu sous un langage et des actes communs deux politiques fort différentes : l’une qui, sans désirer la guerre, la regardait comme possible et s’y préparait ; l’autre qui, résolue à maintenir la paix, ne voyait dans les armemens et dans toutes les autres démonstrations qu’un moyen de faire peur à la coalition. Pendant quelque temps ces deux politiques avaient pu marcher d’accord et se confondre en apparence ; mais elles devaient se séparer le jour où il serait bien démontré que la coalition n’était pas d’humeur à se laisser effrayer. Or, la première de ces politiques, il ne faut pas se le dissimuler, a été vaincue dans la personne des ministres du 1er  mars. La seconde a triomphé, et les ministres du 29 octobre en ont pris la responsabilité. Qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, les ministres du 29 octobre sont donc aux yeux de la France et de l’Europe les représentans de cette politique. C’est là la situation qu’ils ont acceptée, situation qui, comme il arrive presque toujours, doit être plus forte que leurs intentions.

Le ministère du 29 octobre, indépendamment de sa volonté, indépendamment de ses actes, avait donc, ce nous semble, un double vice originel. En succédant au 1er  mars et en réduisant les armemens projetés, comme lord Melbourne l’avait si cavalièrement exigé, il donnait satisfaction complète à l’Europe contre la France, et justifiait pleinement la prédiction de lord Palmerston. En acceptant la mission d’abandonner la position prise par ses prédécesseurs et de rompre leurs engagemens, il détruisait pour un long avenir toute confiance dans les paroles de la France, toute foi dans ses résolutions. C’était un mal énorme et malheureusement irréparable. Mais du moins pouvait-on espérer que le ministère du 29 octobre lutterait avec fermeté contre les inconvéniens de sa situation. Il ne nous semble pas qu’il l’ait fait jusqu’ici. Après la prise de Saint-Jean-d’Acre, on a pu dire avec quelque raison que tout était terminé en Syrie, et qu’on ne pouvait revenir sur les faits accomplis ; mais il ne faut pas oublier que Saint-Jean-d’Acre tenait encore lors de la rédaction du discours du trône et de la discussion de l’adresse à la chambre des pairs. Avant la chute de Saint-Jean-d’Acre, il était donc établi par le cabinet que la France ne devait plus rien à Méhémet-Ali, et qu’il fallait qu’il se sauvât par ses propres