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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

comme c’est l’usage des historiens, que les intérêts de chaque jour et les passions mobiles des acteurs ; on s’est arrêté, non sans étonnement, en face des énigmes que présente cette époque ; elles s’expliquent, si l’on place ces personnages dans leur ordre véritable : ici, les Guises, le pape, Philippe II, Marie de Lorraine et Marie Stuart ; là, cet ami de Calvin, Jean Knox, et derrière lui toute la bourgeoisie et tout le peuple ; plus loin les seigneurs, avides d’exploiter les évènemens et de jeter leur glaive dans la balance du succès ; enfin, Élisabeth d’Angleterre, redoutant les catholiques, détestant les Guises, se défiant des calvinistes et attisant la guerre civile d’un royaume qu’elle espérait ou ruiner ou prendre.

Mais Marie Stuart se détache vivement de tous ces groupes. Marie, c’est le Midi lui-même, armé de ses séductions les plus puissantes, et soutenant contre les résistances du Nord et ses sévérités cruelles le plus inutile et le plus dramatique de tous les combats. Elle apporte avec elle l’amour, la beauté, les arts, l’éloquence, l’émotion, la violence des instincts, la grace des manières, le don des larmes, l’imprévoyance des passions. Dans le choc effroyable de ces deux génies, l’un représenté par Knox, homme de glace, l’autre qui se résume en Marie Stuart, la fille de Lorraine ne recule pas ; elle ne cède ni un dogme, ni un penchant, ni une volupté, ni un crime. On le lui rend bien. Vous verrez dans la simple chronique suivante, dont les détails, minutieux et neufs, sont empruntés avec scrupule aux documens inédits que j’ai signalés, combien la tragédie de l’humanité l’emporte en intérêt et en crime sur Walter Scott, sur Homère, sur Shakspeare, qui ne sont créateurs qu’après Dieu.

En 1548, Knox, âgé de quarante-un ans, est réfugié avec les chefs de la révolte calviniste dans le château de Saint-André. Une flotte française et catholique vient canonner le château. Knox, à l’approche des ennemis, élève sa voix tonnante : « Vous avez été pillards et débauchés, licencieux et impies ; vous avez ravagé le pays, et commis des meurtres et des abominations exécrables. Je vous annonce le jugement prochain du Dieu juste, une captivité dure et des misères sans nombre. » Les soldats attablés continent à boire et rient de ses menaces, prétendant que Henri VIII les délivrera bientôt, et que leurs remparts suffiront pour les protéger. « Non, non, reprend le réformateur, vos péchés vous condamnent ; vos murailles vont tomber en poudre, et vos corps sous les fers[1]. » La prophétie ne fut pas

  1. Anderson, Ms. History, tom. II. pag. 94.