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DÉBATS PARLEMENTAIRES.

est impossible de méconnaître la gravité. La première avait grande chance de réussir par le seul effet d’une décision énergique, car l’Angleterre n’eût point affronté, on peut le croire, les périls d’une rupture avec la France, si elle les avait estimés sérieux, si elle avait cessé de répéter dans son cœur ce mot fatal : On n’osera pas ; la seconde politique pouvait aussi être acceptée de l’opinion, si l’on y avait préparé le pays en lui faisant comprendre le danger du rapprochement formidable qui se préparait à Londres, au lieu de lui présenter en toute occasion cette tentative comme insensée et chimérique.

Les hommes les plus dévoués à l’intérêt égyptien, et nous n’hésitons pas à nous placer dans cette catégorie, auraient compris que l’avantage d’assurer la totalité de la Syrie au vice-roi, quelque réel qu’il fût d’ailleurs, n’équivalait pas pour la France au péril d’une alliance entre l’Angleterre et la Russie, et à celui d’une guerre universelle. Les esprits les moins disposés aux transactions après le traité signé sans la France et à son insu se seraient empressés, on peut le croire, de les conseiller dans une certaine mesure, alors que le pays pouvait encore les faire honorablement, car autre chose est de se montrer décidé en face d’une situation périlleuse, autre chose est d’empêcher par sa prudence une telle situation de se produire.

Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? On a montré de l’entêtement sans décision, et l’on a lassé par ses délais sans inquiéter par ses préparatifs ; on n’a su ni s’opposer énergiquement au danger dans son principe, ni faire spontanément en temps utile une concession pour le conjurer. C’est ainsi que nous sommes arrivés, dans notre incertitude et notre confiance, jusqu’à cette extrémité de subir la loi de l’Europe aux dépens de notre influence, si ce n’est de notre honneur, ou d’engager contre elle une lutte de vengeance et de désespoir.

Dans le premier trimestre de 1840, à l’arrivée du nouvel ambassadeur du roi à Londres, le moment était évidemment arrivé de prendre une résolution définitive. Donner pour instructions à M. Guizot, en l’envoyant en Angleterre, de gagner du temps, et d’observer, d’écouter toutes les propositions sans prendre de parti sur aucune ; se préoccuper de la mission de M. de Brunow comme d’un incident, au lieu d’y voir une combinaison nouvelle d’un succès trop certain, si la France ne coupait court brusquement à des ouvertures si redoutables pour elle-même, c’était laisser au hasard des évènemens ce que la bonne politique prescrivait impérieusement de lui ôter.

Deux cabinets ont successivement partagé, à cet égard, des illusions que les préoccupations publiques en France contribuaient d’ailleurs à