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versons et déchirons cette trame populaire ; cherchons ces faits qui disent le caractère, ces dates qui attestent les évènemens, ces lambeaux sanglans ou rouillés qui viennent trahir les passions. Osons porter la main sur les mensonges convenus. Ne craignons pas de prouver à la race humaine qu’elle se trompe souvent. De siècle en siècle, d’année en année, les systèmes s’élèvent et croulent ; les châteaux de nuages grandissent à l’horizon, colorés et radieux. On les accepte, puis on les répudie. Cependant les archives s’ouvrent, les documens réels, les vieilles correspondances paraissent au grand jour, les anciens mensonges fuient, et l’on voit les faits véritables se révéler lentement, un à un, couverts de poudre, à demi rongés par le temps.

Un grand seigneur russe, M. le prince de Labanoff, qui a consulté avec une infatigable patience toutes les bibliothèques d’Europe pour y découvrir des renseignemens inédits sur Marie Stuart ; l’historien allemand, Von Raumer, qui a publié, il y a deux années, les curieux résultats de ses fouilles dans les archives françaises ; un Espagnol, Gonzalès, qui a donné sur le règne de Philippe II les éclaircissemens les plus précieux et les plus nouveaux ; enfin un savant Écossais, M. Patrick Fraser Tytler, placé près des sources, et qui a puisé dans les archives de Londres et d’Édimbourg mille détails, ignorés jusqu’ici, relatifs à cette rivalité sanglante de deux femmes, fournissent, sur Marie Stuart et son époque des documens de trois espèces : — 1o  ceux qui montrent Élisabeth instigatrice acharnée des guerres civiles qui déchirèrent l’Écosse ; — 2o  ceux qui éclairent d’un rayon souvent funeste la vie privée de Marie Stuart, ses intentions et ses intrigues ; — 3o  enfin, ceux qui rattachent intimement le règne, les trames et les efforts de Marie à la grande ligue catholique, dont les princes lorrains étaient les moteurs. Ces clartés nouvelles prouvent la culpabilité égale des deux reines ; l’une, Marie, légère, passionnée, violente ; l’autre, perfide et cruelle, jalouse et sanguinaire ; celle-ci, habile ; cette autre, imprudente ; toutes deux sans mœurs, sans foi, sans principes et sans scrupules.

Il est vrai que leurs fautes, et, disons-le, leurs crimes, étaient partagés ou conseillés par beaucoup d’autres. Elles étaient chefs de parti. Marie servait ses passions et l’ambition des Guises. Élisabeth avait derrière elle tout un peuple et l’Europe protestante. Avant de soumettre à l’analyse les découvertes plus ou moins importantes dont nous venons de parler, il est nécessaire de replacer sous son vrai point de vue la question politique de ce temps, aujourd’hui oubliée.