Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/646

Cette page a été validée par deux contributeurs.
642
REVUE DES DEUX MONDES.

nistration, de commerce et de politique. Il interroge, il s’instruit, il comprend, il sent, il devine. Avare avec délices et passion, il a fini par changer l’administration du royaume en une grande exploitation industrielle et commerciale.

Les habitudes de ses premières années ont développé ce penchant. Neveu de Muley-Soleiman, Abderraman n’est pas destiné au pouvoir suprême. Les liaisons de parenté avec la famille du souverain ont une médiocre importance dans les états musulmans, et surtout à Maroc, où la famille royale peuple à elle seule presque toute la province de Tafilet ; Muley-Ali, fondateur de la dynastie, laissa quatre-vingt-quatre enfans mâles et un plus grand nombre de filles ; on porte jusqu’à huit cents le nombre des enfans mâles de Muley-Ismaïl. Muley-Abderraman, éloigné de la cour, avait mené une vie assez obscure en qualité d’administrateur de la douane à Rabat, puis à Mogador, lorsque Muley-Soleiman, excluant du trône ses enfans et toute sa postérité, le choisit pour successeur ; en effet, il était seul capable de porter le poids des affaires. Les héritiers plus proches se soumirent. L’aîné, alors héritier, est aujourd’hui attaché à la cour de Muley-Mohammed, fils aîné du sultan, comme ami et conseiller intime.

Quelques tentatives d’usurpation furent essayées à cette époque. L’une d’elles, dirigée par les Oudaya, milice du palais, qui jouait à Maroc le rôle des janissaires à Constantinople, put sembler menaçante au nouveau sultan.

L’origine de cette milice explique sa puissance : Muley-Ismaïl avait amené du désert, où il était allé guerroyer contre le roi de Tombouctou, un grand nombre de noirs qu’il avait enrégimentés. Ce corps, isolé au milieu de populations qui le haïssaient, avait pour unique intérêt l’intérêt de son maître. Il parvint à le défaire de ses enfans et à pacifier l’empire. Muley-Ismaïl reconnut ce service par tant de priviléges, et fit à toutes les recrues que lui fournissait incessamment le désert, un accueil si favorable, que cette milice dépassa en peu d’années le nombre de cent mille hommes, et n’eut pas de peine à mettre la souveraineté en tutelle, et à substituer au gouvernement ses caprices. Muley-Abdallah, déposé six fois par ses noirs, trouva le joug intolérable ; il voulut s’en délivrer à tout prix. Le moyen le plus sûr lui parut être de mettre la milice nègre aux prises avec les indigènes. Ce plan réussit. La milice, divisée, traquée dans des défilés et dans les positions les plus critiques, fut exterminée ; de cent mille hommes, il en resta à peine six mille.