Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/366

Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
REVUE DES DEUX MONDES.

rope, se refuse à l’observation qui veut la détacher de l’ensemble. Aussi nos annales isolées ne seront-elles jamais écrites d’une manière satisfaisante. C’est un problème qui userait en vain toutes les forces du génie. La France, pour me servir d’une expression médicale, est le centre de sensibilité universelle, le « grand sympathique » du monde européen.

Il est impossible de constater un mouvement vital, et, comme on le dit, progressif dans le cours actuel de la littérature anglaise. Les seules vagues rayonnantes qui viennent battre la rive avec quelque lumière et quelque bruit sont celles que l’Anglo-teutonique Carlyle a puisées aux sources de la contemplation allemande. Du reste, tout s’écoule avec une douce lenteur, qui n’est pas même de la majesté, avec une certaine facilité sinueuse qui arrose des bords depuis long-temps féconds. Cette vieille fertilité, due à l’admirable existence de la société anglaise depuis le XVIe siècle, n’est point encore tarie ; mais elle n’est pas en progrès. L’habitude, le lieu commun, le reflet et l’écho pénètrent de tous côtés dans cette belle littérature britannique, chère surtout aux esprits primesautiers, aux intelligences originales, à ceux qui ne vivent pas de dictons scolastiques, et qui aiment Dieu pour Dieu même, l’ame pour elle-même, et la poésie pour la poésie. C’est un malheur que l’affaissement sensible d’une telle littérature. Mais l’Europe a-t-elle le droit de crier haro sur la Grande-Bretagne ? Où sont les grands esprits et les grands écrivains de la Germanie ? Le vieux Tieck et le jeune Heine semblent renfermer toute sa gloire. Nous ne parlons pas de la France.

En vain un sentiment de confiance et d’espoir cherche-t-il à repousser la vérité fatale. La décadence des littératures, née de celle des esprits, ne peut être niée. Tout le monde voit que nous descendons, d’un commun accord, nous, peuples européens, vers je ne sais quelle nullité demi-chinoise, vers je ne sais quelle faiblesse universelle et inévitable, que l’auteur de ces observations prédit depuis quinze ans, et contre laquelle il ne voit pas de remède. Cette descente dans la caverne, cette marche obscure qui nous conduira quelque jour au nivellement des intelligences, au fractionnement des forces, à la destruction du génie, s’opère diversement selon le degré d’affaissement des races. Les méridionaux marchent les premiers ; les premiers, ils ont reçu lumière et vie ; les premiers, ils sont tombés dans la nuit. Les septentrionaux suivront de près ; la vigueur et la sève du monde se sont réfugiées en eux. Les Italiens, noble race cependant, sont là,