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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Voilà, ce me semble, des accens qui montent et auxquels on n’était pas jusqu’alors accoutumé. L’autre ode, également belle pour le temps, est adressée au seigneur Bouju et s’inspire du Quem tu Melpomene semel d’Horace : ce sont les conditions et les goûts du vrai poète, qui ne suit ni l’ambitieuse faveur des cours ni la tourbe insensée des villes, qui ne recherche ni les riches contrées d’outre-mer ni les colysées superbes,

Mais bien les fontaines vives
Mères des petits ruisseaux
Autour de leurs vertes rives
Encourtinés d’arbrisseaux…

Et encore, toujours parlant du poète :

Il tarde le cours des ondes,
Il donne oreilles aux bois,
Et les cavernes profondes
Fait rechanter sous sa voix.

Du Bellay, on le sent, se ressaisit de ces antiques douceurs en esprit pénétré, et, revenant vers la fin à Madame Marguerite, il dit volontiers de cette princesse ce qu’Horace appliquait à la muse :

Quod spiro et placeo (si placeo) tuum est.

Cette vénération, ce culte de Du Bellay pour Madame Marguerite sort des termes de convention et prit avec les années un touchant caractère. Dans les derniers sonnets de ses Regrets, publiés à la fin de sa vie (1559), il dédie à cette princesse, avec une émotion sincère, le plus pur de ses pensées et de ses affections. Il convient que d’abord il n’avait fait que l’admirer sans assez l’apprécier et la connaître, mais que depuis qu’il a vu de près d’Italie, le Tibre et tous ces grands dieux que l’ignorance adore, et qu’il les a vus

Ignorans, vicieux et méchans à l’envi,

sa princesse lui est apparue, au retour, dans tout son prix et dans sa vertu :

Alors je m’aperçus qu’ignorant son mérite,
J’avois, sans la connoître, admiré Marguerite,
Comme, sans les connoître, on admire les cieux.

Et ce sentiment, il l’a mieux exprimé que dans des rimes. En une lettre datée de trois mois avant sa mort (5 octobre 1559), déplorant