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REVUE DES DEUX MONDES.

— Adieu donc toutes mes espérances ! s’écria douloureusement le blessé.

— Vos espérances ? Diantre ! espériez-vous faire mieux avec un fusil à deux coups ?… Ah çà ! comment diable vous ont-ils touché ? Il faut que ces gaillards aient la vie plus dure que les chats.

— Ils ont tiré les premiers, dit Orso.

— C’est vrai, j’oubliais… Pif ! pif ! boum ! boum !… coup double d’une main[1] !… Quand on fera mieux, je m’irai pendre ! Allons, vous voilà monté… avant de partir, regardez donc un peu votre ouvrage. Il n’est pas poli de quitter ainsi la compagnie sans lui dire adieu.

Orso donna des éperons à son cheval ; pour rien au monde, il n’eût voulu voir les malheureux à qui il venait de donner la mort.

— Tenez, Ors’ Anton’, dit le bandit s’emparant de la bride du cheval, voulez-vous que je vous parle franchement ? Eh bien ! sans vous offenser, ces deux pauvres jeunes gens me font de la peine. Je vous prie de m’excuser… Si beaux… si forts… si jeunes !… Orlanduccio avec qui j’ai chassé tant de fois… Il m’a donné, il y a quatre jours, un paquet de cigarres… Vincentello, qui était toujours de si belle humeur !… C’est vrai que vous avez fait ce que vous deviez faire… et d’ailleurs le coup est trop beau pour qu’on le regrette… Mais moi je n’étais pas dans votre vengeance… Je sais que vous avez raison, quand on a un ennemi, il faut s’en défaire. Mais les Barricini, c’était une vieille famille… En voilà encore une qui fausse compagnie… et par un coup double ! c’est piquant !

Faisant ainsi l’oraison funèbre des Barricini, Brandolaccio conduisait en hâte Orso, Chilina et le chien Brusco vers le maquis de la Stazzona.

XVIII.

Cependant Colomba, peu après le départ d’Orso, avait appris par ses espions que les Barricini tenaient la campagne, et, dès ce moment, elle fut en proie à une vive inquiétude. On la voyait parcourir la maison en tous sens, allant de la cuisine aux chambres préparées pour ses hôtes, ne faisant rien, et toujours occupée, s’arrêtant sans cesse pour regarder si elle n’apercevait pas, dans le village, un mouvement inusité.

  1. Si quelque chasseur incrédule me contestait le coup double de M. della Rebbia, je l’engagerais à aller à Sartène, et à se faire raconter comment l’un des habitans les plus distingués et les plus aimables de cette ville se tira seul, et le bras gauche cassé, d’une position au moins aussi périlleuse.