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stant même réparation des torts qu’elle pourrait éprouver ; pour le moment, nous ne lui demandons rien de plus. Cela seul nous rassure, car il nous est impossible d’imaginer que des hommes qui ne sont ni fous ni idiots, des hommes auxquels il est difficile de refuser quelque peu d’intelligence et de bon sens, voulussent de gaieté de cœur faire dépenser au pays des centaines de millions, enlever notre jeunesse au travail des ateliers et des champs, appeler la France à ceindre l’épée, à revêtir le casque et la cuirasse pour la préparer ainsi à subir tout armé un affront sans ressentiment, une diminution de puissance sans réparation. Et, d’ailleurs, on peut dire que les hommes ne font rien à l’affaire. Les ministres le voudraient, que la France armée, forte, ne le voudrait pas. Les ministres tombent, la France reste. Cela s’est vu plus d’une fois.

Sérieusement parlant, le cabinet n’a donné à personne le droit de le suspecter de faiblesse vis-à-vis de l’étranger et d’indifférence pour l’honneur national, pas plus qu’il n’a donné le droit de le taxer d’audace, de témérité, d’imprudence. Le gouvernement a fait ce que toute administration ferme et prudente n’aurait pas manqué de faire, ce que devait désirer tout ami sincère du pays, de sa dignité, de sa grandeur.

Aussi, nous ne concevrions pas que, dans la situation grave où nous nous trouvons, il pût tomber dans l’esprit d’hommes sensés de susciter des querelles de personnes, de nouer des intrigues de portefeuille, de rabaisser la grande question du jour à une lutte de prétendans ministériels. Des faits de cette nature, dans ce moment, accuseraient une telle absence de dignité personnelle et de patriotisme, que nous refusons d’une manière péremptoire toute croyance aux bruits qui se répandent à ce sujet. Nous sommes certains, du moins, qu’aucun des hommes éminens dont le nom se trouve mêlé à ces bruits, ne trempe dans ces intrigues, si par aventure elles ont quelque réalité. Mais, répétons-le, il nous est impossible d’y ajouter foi. Des combinaisons ministérielles aujourd’hui ! Et pourquoi ? Et que pourrait faire le nouveau cabinet ? Ce que fait le cabinet actuel ? Pourquoi le renverser ? Autre chose ? Désarmer la France ? Vraiment !

Laissons ces misères. Vrais ou faux, le pays ne s’occupe point de ces bruits, et le pays a parfaitement raison.

Les signataires du traité de Londres paraissent décidés à pousser le pacha d’Égypte l’épée dans les reins. Si le pacha résiste, les prévisions du traité de Londres ne tarderont pas à être épuisées. Il faudra songer à des mesures de la dernière énergie, bref, à l’envoi d’une armée. De quelles troupes sera-t-elle composée ? De troupes turques ? Il est difficile de croire que le faible successeur du vaincu de Nézib puisse, si une formidable insurrection n’éclate pas en Syrie, reconquérir cette province par la force. Si le pacha résiste, ce qu’il y a de plus probable, c’est qu’on reconnaîtra bientôt la nécessité d’une armée russe. Lord Palmerston pourra se vanter, si mieux il n’aime avoir fait une œuvre ridicule, d’avoir ouvert aux Russes les portes de l’Asie. Nous verrons quels remerciemens le parlement anglais sera disposé à lui voter pour ce noble exploit.