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MÉHÉMET ALI.

après la mort du sultan Mahmoud, tout le monde croyait que Méhémet-Ali allait arriver, et personne ne doutait qu’il ne fût reçu avec enthousiasme par toute la population empressée de saluer en lui le seul musulman qui de nos jours ait de la gloire et de la grandeur. Et quand je demandais : « Mais que fera-t-il du jeune sultan ? — Il sera son visir et son tuteur. — Mais le tuteur ne fera-t-il pas un beau jour disparaître le pupille ? » — C’est à peine si on me comprenait ; on eût compris que j’eusse craint que le sultan fît un jour étrangler ce visir incommode, s’il pouvait en trouver l’occasion ; mais que le visir fît périr le sultan, cela paraissait impossible, tant l’idée de la légitimité de la race d’Othman est profondément enracinée dans les esprits !

Avant la mort de Mahmoud, quand Méhémet-Ali parlait de son projet de venir à Constantinople, alors il s’agissait pour lui de détrôner le sultan et de mettre Abdul-Medjid à sa place. La mort a fait la besogne que voulait faire Méhémet-Ali. Aujourd’hui Méhémet-Ali n’aurait plus qu’à être le visir et le régénérateur de l’empire ottoman. Cette gloire le flatte. Il mêle aussi à l’idée de cette régénération politique ses projets agricoles et commerciaux. Il énumère les riches produits du territoire turc, cette admirable fertilité du sol qui manque seulement de bras, cette heureuse situation géographique qui fait qu’il est placé au centre même du commerce entre l’Europe et l’Asie, et qu’il a autant de débouchés qu’il peut avoir de produits. Méhémet-Ali s’anime à la pensée de rendre à cette vieille terre son antique prospérité. C’est un des caractères du gouvernement de Méhémet-Ali d’avoir mêlé aux soins de la politique les soins de l’agriculture et du commerce. Il est le seul propriétaire et le seul commerçant de l’Égypte. Les fellahs cultivent pour lui, récoltent pour lui, et il vend lui-même le blé et le coton de son vaste domaine. Il a, pour ainsi dire, appuyé un empire sur une ferme. C’est l’Égypte qui est cette grande ferme, et ce pays, après tout, se prête admirablement à la grande culture ; c’est même la seule culture qu’il comporte. La nécessité d’entretenir les canaux qui répandent l’eau du Nil pendant l’inondation amène la nécessité d’un pouvoir central et unique. Cette grande exploitation agricole a besoin d’unité. Partagez l’Égypte entre de petits cultivateurs, les uns paresseux, les autres ignorans, tous indifférens les uns aux autres et incapables d’accord, les canaux qui portent l’eau du Nil des fonds supérieurs aux fonds inférieurs s’engorgeront, et la stérilité, toujours prompte sous un climat brûlant, envahira peu à peu l’Égypte. Méhémet-Ali, en se