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mières cours chinoises, où l’on assure que les costumes étaient exactement semblables, et que les grands, suivant leurs grades et leurs fonctions, devaient se barbouiller la figure de manière à la rendre méconnaissable. D’où venait cet usage ? Était-ce une vaine obligation d’étiquette, ou bien se masquait-on ainsi dans les jugemens ou les grands conseils seulement pour que les votes fussent donnés avec plus d’assurance ? C’est ce que je ne pus savoir.

Mais revenons à la pièce, qui rappelait sans doute un de ces anciens faits historiques dont les Chinois aiment à faire le sujet de leurs drames.

Le souverain, ou le chef qui siégeait près de la table, après une suite de conversations et de gestes incompréhensibles pour nous, parut accuser un des grands personnages mêlés à ses courtisans. Celui-ci, tout vêtu de noir et paraissant par son costume appartenir plutôt à la classe lettrée qu’à la classe guerrière, sortit des rangs à cet appel, et, se jetant à genoux, marmotta sur un ton lamentable une longue prière en se frappant le front contre terre. Le juge insensible prononça probablement une sentence, et à chaque phrase les gardes et les assistans poussaient en chœur un cri aigu et discordant que l’on me dit être un signe d’acquiescement à la volonté du prince. Tout à coup une femme éplorée (c’est un eunuque qui remplit ce rôle) se précipite sur la scène ; c’est probablement la femme de l’accusé : elle vient aussi se jeter aux pieds des juges, mais ses larmes et ses supplications sont aussi vaines que les longs discours qu’elle prononce d’un ton criard en se tournant vers le public.

Là se termina un acte de cette pièce, qui paraissait intéresser vivement tous les spectateurs ; en effet, leurs applaudissemens tonnaient avec fureur et dominaient par momens le bruit des tam-tams, des gongs et des autres instrumens à sons discordans, instrumens moins discordans toutefois et moins aigres que la voix des acteurs, qui s’égosillaient pour se mettre au diapason de cette musique infernale. Les efforts que faisaient ces malheureux pour se faire entendre étaient pénibles à voir ; les yeux leur sortaient de la tête, et les veines de leur cou étaient gonflées à crever.

Chacun de ces acteurs, avant de parler, avait eu soin de venir sur le bord du théâtre annoncer qui il était et quel rôle il remplissait ; tous ces préambules, qui prêtent fort peu à l’illusion, ne diminuent en rien, pour le Chinois bénévole, l’intérêt de l’action ; bien plus, comme les décors du théâtre sont très peu variés, il faut aussi souvent des explications pour faire comprendre le lieu de la scène. Ainsi, un acteur