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trouvaient sculptés sur le pourtour du vase, au milieu des reliefs les plus délicatement exécutés. Certainement les plus beaux modèles de l’antiquité grecque et romaine ne sont pas supérieurs à cela. Il y avait aussi des vases en jaspe et en agate qu’on nous dit venir des premiers empereurs chinois, et dont on ne voulait pas nous dire le prix ; quand nous importunions le marchand pour le savoir, il branlait la tête en souriant, comme pour dire : — Vous êtes des profanes qui ne pouvez apprécier tant de beauté ; — et il avait tort, car pour moi j’étais enthousiasmé.

Je voulus marchander des babioles, des cachets en jaspe d’une petitesse extrême et très simples ; mais c’était hors de prix, et nous savions que l’antiquaire était inexorable, car M. Prinsep, de Calcutta, alors à Macao, avait acheté chez lui pour plus de huit cents gourdes d’objets différens sans qu’il voulût lui rabattre un sou. Le hasard me fit tomber sur deux chandeliers et deux vases en bronze très mutilés et très vieux, que j’eus pour quatre gourdes, je ne sais pourquoi, car il y avait à côté des débris de vase couverts de vert-de-gris et rongés par le temps, dont on demandait trente gourdes. C’est que probablement mes vases et mes chandeliers, n’avaient que deux ou trois siècles d’existence.

Revenus de cette course, nous trouvâmes un jeune Anglais, nommé Morrison, le seul de sa nation qui ait pu apprendre parfaitement le chinois ; il nous cherchait pour nous conduire au théâtre, car il y avait ce jour-là une représentation curieuse, chose assez rare.

Nous voilà donc partis de plus belle ; nous étions en tout neuf personnes. Le jeune Morrison, maigre, ingambe et connaissant parfaitement les inextricables rues de Canton, s’était mis à notre tête, et nous venions à la file les uns les autres, nous tenant pour ainsi dire par les pans de nos habits pour ne pas nous perdre au milieu de ce dédale de ruelles étroites et populeuses que nous traversions au galop. Il y avait à peu près un quart d’heure ou vingt minutes que nous allions de ce train, quand notre guide nous fit arrêter près d’une chétive maison dont la cour servait de salle de spectacle. Nous entrâmes, et, figurez-vous notre désappointement, les acteurs étaient partis, la foule s’était écoulée, nous étions venus trop tard ! (Heureusement Morrison s’aboucha avec un Chinois, et, après quelques mots échangés, il nous dit : Partons et dépêchons-nous ; il y a un autre théâtre où l’on joue, un peu plus loin : j’espère que je le trouverai. Et là-dessus, sans attendre de réponse, le voilà qui reprend sa course, et nous de suivre, sans avoir le temps de respirer ou de souffler un mot.