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qui M… avait fait beaucoup de questions à ce sujet, nous dit que le seul thé réellement bon et bienfaisant, celui qui est préféré par les Anglais et les Chinois, est le souchong, thé noir, moins cher que le péko, mais généralement estimé. On discourut long-temps sur cette matière, et le résultat fut que nos achats devaient consister en souchong seulement ; d’ailleurs, les excellentes raisons que nous donna M. Pereyra eussent-elles été insuffisantes pour nous décider en faveur de ce thé, celui que nous prenions à déjeuner nous aurait entièrement convertis par son parfum exquis et par cette douce saveur que nous n’avions jamais connue. Au sortir de table, nous allâmes, conduits par Durand et dirigés par les instructions de toutes nos connaissances, dans un magasin magnifique parfaitement monté en soieries et en thés.

Le 2 novembre fut consacré aux achats des petits objets de fantaisie. Je passai quelques momens fort agréables dans les ateliers où les Chinois font des copies si exactes de nos gravures et des meilleures têtes de nos maîtres. Ils ont un talent inoui d’imitation, et ceux d’entre ces peintres à longue queue qui ont pris quelques leçons d’un artiste anglais distingué, résidant à Macao, font des portraits à l’huile de grandeur naturelle qui surprendraient bien notre excellent C., s’il les voyait jamais.

Les Chinois broient et préparent leurs couleurs à la manière européenne, seulement leurs brosses sont faites d’un poil blanc aussi fin que le poil de martre, et la hampe est en roseau, au lieu d’être en bois. Il n’y a guère à Canton que deux artistes distingués ; on peut même dire qu’à l’exception du fameux Lamcqua, les autres ne sont bons qu’à faire des copies exactes, mais trop léchées, des tableaux de Dubuffe, ou à dessiner laborieusement sur du papier de riz les costumes et les scènes du pays, dont les étrangers ne manquent jamais de garnir leurs albums. Ils emploient pour ce travail des couleurs à l’eau, gouachant par-dessus pour dessiner les ornemens et les détails. Il faut beaucoup de patience pour travailler sur ce papier, qui se gonfle horriblement à chaque coup de pinceau ; mais rien n’est si doux, rien ne donne une finesse plus exquise aux figures et aux vêtemens que le velouté naturel à cette espèce de papier.

Durand nous conduisit assez loin chez un marchand de curiosités antiques, dont le superbe magasin ferait certainement tomber en pâmoison bien des amateurs européens. Pour y arriver, nous passâmes par Physic-Street, la plus gaie et la plus pittoresque des rues de la ville vraiment chinoise, car New-China et China-Street ont encore quelque chose d’européen dans leur construction.