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dont le tapis, d’un vert uniforme, contraste avec des touffes de beaux arbres qui abritent les maisons propres et bien peintes du village.

Nous mouillâmes à une petite distance du rivage, et pendant que nous étions, la longue-vue à la main, à admirer la construction de ces toits aux bords ornés de porcelaines peintes, aux tuiles bien alignées et réunies par un ciment blanc et solide, le pilote descendit à terre pour chercher un élégant bateau de passage avec cabine et couchette, qui devait porter à Macao deux de nos officiers, désignés pour aller s’enquérir des moyens de se rendre à Canton.

Ces messieurs partirent à sept heures du soir avec une bonne brise qui dut les conduire en quatre heures à Macao ; nous restâmes à bord, attendant avec impatience les nouvelles, car nous étions seuls, tout-à-fait seuls, sur la rade de Lin-tin, les navires marchands étant encore tous à Whampoa, point plus rapproché de Canton, mais qu’il ne leur est pas permis de dépasser.

Le lendemain, très tard, les officiers revinrent dans un immense bateau chinois parfaitement disposé pour recevoir des passagers ; ils nous annoncèrent que le commandant et deux officiers pourraient, le soir même, partir pour Macao, où ils trouveraient trois chops (permissions) dont s’étaient pourvus des négocians qui avaient renoncé à en profiter. Avec ces chops, on pouvait, habillé en bourgeois, aller tranquillement à Canton ; ils ajoutèrent que M. Beauvais et M. Durand, l’un négociant suisse et l’autre français, devaient, dans deux ou trois jours, venir avec une jolie goëlette de plaisance prendre tous ceux d’entre nous qui pourraient venir avec eux à Canton.

Le temps qui s’écoula jusqu’au jour si impatiemment attendu où nous devions quitter la frégate se passa à faire des comptes, à augmenter ou à diminuer les listes d’achats. Accablés de commissions, nous avions quelque peine à les classer, à les mettre en ordre ; pour moi, j’avoue que je ne m’étais jamais vu dans des calculs de finance aussi compliqués. J’étais si occupé, que je n’avais pas même l’envie d’aller, comme quelques-uns de mes camarades, faire le soir une promenade à Lin-tin ; ceux qui allaient dans cette île étaient parfaitement reçus des habitans, que l’on dit, je ne sais pourquoi, cruels et voleurs.

C’était le 29 octobre que nous devions partir. Cependant le jour se passa tout entier sans que nous vissions la goëlette, et nous commencions à être sérieusement inquiets. Enfin, entre dix et onze heures du soir, elle arriva ; une heure plus tard, elle nous emportait vers Canton.