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de leurs ailes et la manière dont ils les font mouvoir, que ce sont des chauves-souris.

Nous partîmes dans la faloa, et nous fûmes bientôt devant l’île couverte d’arbres et de buissons presque impénétrables où nous devions trouver l’étrange gibier que nous cherchions. Des bouquets d’immenses bambous garnissaient la plage tout autour de l’île, et l’on distinguait facilement, au milieu de leur feuillage transparent, les chauves-souris suspendues aux branches comme des fruits énormes d’une couleur foncée. Quelques-uns de nos gens sautèrent à terre pour se frayer un chemin dans les broussailles et prendre les bambous à revers ; M. Barrot et moi, nous restâmes dans l’embarcation.

Le feu commença. Les malheureux renards volans s’élevaient par centaines du milieu des arbres à chaque coup de fusil, et ils trouvaient la mort partout ; nous fûmes un peu découragés, le consul et moi, de voir que nos victimes, au lieu de surnager, coulaient immédiatement quand elles tombaient dans l’eau, ce qui arrivait presque toujours à cause de notre position. Il aurait fallu les saisir tout de suite, mais nos rameurs étaient à terre. Nous prîmes alors le parti de descendre et de continuer la guerre sur l’île, pendant que les canotiers déjeunaient. Cependant la pluie commençait à tomber ; nous marchions avec peine au milieu des herbes mouillées qui nous venaient jusqu’au genou ; d’un commun accord, il fut décidé qu’on regagnerait le canot, et qu’à l’abri sous la tente, on continuerait le feu, tout en faisant le tour de l’île. Ce fut le plus amusant de la partie ; nous avions à peine le temps de charger nos fusils, tant il y avait de chauves-souris passant et repassant sur nos têtes ; un nuage immense de ces animaux planait et tournoyait au-dessus d’une autre île, voisine de celle où nous faisions un tel carnage. Nous allions nous diriger de ce côté, quand la trombe vivante vint à notre rencontre. Le ciel en était littéralement obscurci ; jugez du massacre quand nous fûmes au milieu des pauvres bêtes. Enfin, nous cessâmes de guerre lasse ; l’avant de la faloa était rempli de morts et de mourans ; nous regagnâmes la Hala en triomphateurs, abandonnant les victimes aux Tagals qui en firent un superbe festin.

Voyant que le temps était décidément contre nous, nous quittâmes la Hala le 25 au point du jour. Nous étions de retour pour dîner à Manille, et le lendemain matin nous remontâmes à bord, où le service devait nous retenir quelques jours.

Lorsque je revenais à terre, et c’était aussi souvent que mes devoirs me le permettaient, je trouvais dans la maison de M. Barrot et dans