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En 1574, la colonie naissante fut attaquée par un pirate chinois qu’on nomme dans le pays le roi Limahou. Battu par Legaspe, cet aventurier fut heureux de s’enfuir avec une partie de ses soldats sur l’île Formose, tandis que le reste de ses troupes, refoulé dans l’intérieur de Luçon, se mêla aux indigènes et forma une race distincte plus blanche que les autres. En 1603, le faubourg de Binondo comptait plus de vingt-cinq mille Chinois, qui étaient entièrement maîtres du petit commerce de détail et très influens par leurs richesses. Une ambassade de la cour de Pékin vint à cette époque, sous un prétexte absurde, pousser à la révolte tous ces sujets du céleste empire, et, sans la révélation d’une Tagale mariée à un Chinois, c’en était fait de Manille. Les Espagnols, quoique avertis, furent si vigoureusement attaqués, qu’une partie des troupes fut massacrée. Sans les cruautés exercées par les Chinois envers les Tagals, la garnison eût même été obligée de mettre bas les armes ; mais les Tagals, maltraités, se réunirent aux Espagnols, et dès-lors la victoire se déclara pour le parti européen.

Les Chinois firent encore, en 1639, une tentative de révolte qui se termina, comme la première, par une entière défaite.

Un tremblement de terre détruisit, en 1645, une grande partie des plus beaux édifices de Manille ; enfin, en 1719, une attaque des Anglais vint mettre la colonie à deux doigts de sa perte. Après une héroïque résistance de la garnison et des indigènes, sous les ordres du chanoine Anda et d’un Français, il fallut rendre la ville au général Draper, qui l’abandonna au meurtre et au pillage, et lui imposa un tribut de 4 millions. La tranquillité se rétablit. Mais les Anglais avaient encore bien des ennemis à combattre ; le chanoine Anda, exploitant habilement les préjugés religieux, avait insurgé contre eux tout le pays, et l’officier que Draper avait laissé pour commander la place était sur le point de se rendre, lorsqu’une frégate anglaise apporta la nouvelle de la paix conclue entre l’Angleterre et l’Espagne. La reddition de Manille était une des conditions du traité.

Anda, nommé capitaine-général, parvint à apaiser les troubles qui suivirent cette révolution, et rendit à la colonie sa première splendeur.

Ce ne fut que sous le règne de Napoléon que les étrangers obtinrent de l’Espagne le droit de s’établir à Manille, et bientôt leur industrie fit faire des progrès immenses au commerce de l’île. Massacrés en partie par une populace aveugle et féroce pendant le choléra de 1820, ils ont repris peu à peu dans le pays l’influence qu’ils avaient