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REVUE. — CHRONIQUE.

plantation et en suivrait la destinée. Ce système n’est qu’une aggravation de l’apprentissage qui a eu tant d’inconvéniens chez les Anglais, et qui, après avoir jeté le trouble dans leurs colonies, n’a pas pu arriver au terme de sept ans, fixé par le bill d’émancipation. Le principal vice de l’esclavage, c’est d’exiger le travail sans salaire ; la plus grande difficulté de l’émancipation, c’est de déterminer le maître à payer de bonne volonté ce que naguère il obtenait presque pour rien. L’apprentissage ne prépare en aucune façon le changement qui doit s’opérer de part et d’autre. Il donne pour tuteur à l’esclave celui qui a le moins d’intérêt à ce qu’il devienne un travailleur libre, en état de débattre ses conditions, celui qui, par ses sentimens et ses habitudes, est le moins en mesure d’aimer et de comprendre l’état nouveau des relations sociales. Enfin, ce système, en maintenant le noir à la glèbe, ne fait qu’échanger l’esclavage contre le servage, deux noms différens donnés à une même chose. Qu’est-ce que la liberté, sinon la faculté de choisir celui à qui l’on vend son travail ? Quelle est souvent la plus grande douleur de l’esclave ? C’est de se trouver en face d’un maître qu’il n’aime pas. Quelle a été, au fond, la plus grande difficulté de la transition dans les colonies anglaises, sinon la multitude des conflits provenant de la présence forcée, en face l’un de l’autre, de celui qui avait été maître absolu et despote, et de celui qui devenait ouvrier libre, de celui qui avait châtié et offensé impunément, et de celui qui avait été offensé et châtié ? Quel serait le meilleur moyen d’éviter ces conflits et de détruire à leur racine toutes les susceptibilités morales inhérentes à la position respective de l’ancien maître et de l’ancien esclave ? Le plus souvent, un simple changement d’atelier pour l’ancien esclave. Celui qui travaillait avec répugnance sur telle plantation, deviendrait, sur telle autre, travailleur diligent et de bonne volonté. Évidemment, ce prétendu mode de travail libre n’est qu’une variante du travail esclave, et ne supporte pas la discussion.

Quant au troisième mode, c’est celui que l’on a nommé émancipation partielle. Il ne faut pas entendre par là ce faux-fuyant dérisoire, adopté par les défenseurs de l’ancien système colonial comme dernier refuge de la résistance, et qui consiste à présenter comme le plus sûr moyen d’éteindre l’esclavage le cours naturel des affranchissemens volontaires que les maîtres accordent à leurs esclaves. Ces affranchissemens volontaires n’intéressent pas la population rurale, celle où se trouvent les véritables esclaves : ils ne portent guère que sur la population des villes, et encore sur des serviteurs vieillis ou sur des femmes et de jeunes enfans. Le nombre des femmes et des jeunes enfans affranchis est assez considérable, et l’on conçoit facilement la cause de ces prédilections. Les affranchissemens partiels, dans une société où la masse des travailleurs est esclave et où il n’existe aucune prévision pour l’organisation du travail libre, ni même aucune place pour les professions d’arts et métiers, n’ont d’autre effet que de multiplier les vagabonds et de fournir des argumens à ceux qui prétendent que les noirs sont impropres au travail. À de pareilles conditions, les blancs y seraient encore moins aptes. En outre, les affranchissemens partiels tendent à frustrer le colon des deux avantages qu’il peut