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LA SICILE.

des chiffres, des objets votifs, placés là dans différens siècles, et offrant le symbole des croyances qui ont successivement dominé dans le pays, ainsi que les images du christianisme, qui les a remplacées. Quant aux épitaphes, elles ont été pieusement arrachées des tombes par les antiquaires, et figurent dans le musée de Syracuse, où l’on retrouve de déplorables et nombreux témoignages de toutes les spoliations faites de nos jours au nom de la science.

Dans le quartier de Tycha, situé entre l’Acradina et Epipoli, vivaient le bas peuple, les gladiateurs, les vendeurs. On y voyait le temple de la Fortune, assidûment fréquenté par une foule misérable qui s’efforçait laborieusement de mériter les faveurs de la déesse. C’est dans le quartier de Tycha que se trouvait la maison donnée par le sénat et le peuple de Syracuse à Timoléon, leur libérateur.

Dans Ortygie, l’enceinte sacrée, la demeure du chef ou du prince, régnaient dans de beaux temples, Diane et Minerve. Ce dernier temple est debout, et j’y assistai, en présence de l’archevêque, de tout le clergé et de la garnison, à une messe solennelle d’actions de grace pour l’éloignement du choléra-morbus, qui avait fait disparaître la moitié de la population de Syracuse. Je vous ai dit qu’un mouvement populaire avait éclaté à l’apparition de la maladie, qu’un grand nombre de malheureux, accusés de vouloir empoisonner le peuple, avaient été massacrés, et que la populace sanguinaire était restée quelques jours maîtresse de la ville, où commandait le général Tanzi, vieillard respectable, mais vieillard, et vieillard de soixante-quatorze ans, lequel n’avait pour se défendre qu’une garnison de quatre cents hommes. Une sortie du château-fort, où ces quatre cents hommes étaient enfermés, eût suffi à détruire les barricades élevées dans la rue principale, et à dissiper les mutins, qui, du reste, n’avaient aucun dessein politique, et jetaient partout le désordre aux cris de viva el re è santa Lucia ! (sainte Lucie est la patronne de Syracuse). À Augusta, près de Syracuse, un pareil soulèvement avait eu lieu ; mais le colonel Bagni, commandant du fort et homme résolu, avait rétabli l’obéissance aux lois, en faisant une vigoureuse attaque. Faute d’un homme semblable, ou plutôt faute d’hommes, car la garnison était trop faible, Syracuse, abandonnée par la noblesse et par toutes les personnes de distinction qui avaient pris la fuite, Syracuse resta livrée aux horreurs d’une maladie effroyable, augmentée par la licence et l’oubli de tous les devoirs sociaux. Une chaloupe canonnière, qui apportait l’effectif nécessaire aux hôpitaux, fut prise et brûlée. Le château fut bloqué, et pendant ce temps les malades étaient abandonnés dans les maisons