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visation. Puis, changeant de ton : — Monsieur della Rebbia, dit-il, je suis chargé de bien des complimens pour vous par vos amis anglais. Miss Nevil fait mille amitiés à mademoiselle votre sœur. J’ai pour vous une lettre d’elle à vous remettre.

— Une lettre de miss Nevil ? s’écria Orso.

— Malheureusement je ne l’ai pas sur moi, mais vous l’aurez dans cinq minutes. Son père a été souffrant. Nous avons craint un moment qu’il n’eût gagné nos terribles fièvres. Heureusement, le voilà hors d’affaire, et vous en jugerez par vous-même, car vous le verrez bientôt, j’imagine.

— Miss Nevil a dû être bien inquiète ?

— Par bonheur, elle n’a connu le danger que lorsqu’il était déjà loin. Monsieur della Rebbia, miss Nevil m’a beaucoup parlé de vous et de mademoiselle votre sœur. — Orso s’inclina. — Elle a beaucoup d’amitié pour vous deux. Sous un extérieur plein de grâce, sous une apparence de légèreté, elle cache une raison parfaite.

— C’est une charmante personne, dit Orso.

— C’est presque à sa prière que je viens ici, monsieur. Personne ne connaît mieux que moi une fatale histoire que je voudrais bien n’être pas obligé de vous rappeler. Puisque M. Barricini est encore maire de Pietranera, et moi, préfet de ce département, je n’ai pas besoin de vous dire le cas que je fais de certains soupçons, dont, si je suis bien informé, quelques personnes imprudentes vous ont fait part, et que vous avez repoussés, je le sais, avec l’indignation qu’on devait attendre de votre position et de votre caractère.

— Colomba, dit Orso s’agitant sur sa chaise, tu es bien fatiguée. Tu devrais aller te coucher.

Colomba fit un signe de tête négatif. Elle avait repris son calme habituel et fixait des yeux ardens sur le préfet.

M. Barricini, continua le préfet, désirerait vivement voir cesser cette espèce d’inimitié… c’est-à-dire cet état d’incertitude où vous vous trouvez l’un vis-à-vis de l’autre… Pour ma part, je serais enchanté de vous voir établir avec lui les rapports que doivent avoir ensemble des gens faits pour s’estimer…

— Monsieur, interrompit Orso d’une voix émue, je n’ai jamais accusé l’avocat Barricini d’avoir assassiné mon père, mais il a fait une action qui m’empêchera toujours d’avoir aucune relation avec lui. Il a supposé une lettre menaçante, au nom d’un certain bandit ; du moins, il l’a sourdement attribuée à mon père. Cette lettre, enfin, monsieur, a probablement été la cause indirecte de sa mort.