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branche d’arbousier, l’ajouta à la pyramide. — Orso, dit-elle, c’est ici que notre père est mort. Prions pour son ame, mon frère ! — Et elle se mit à genoux. Orso l’imita aussitôt. En ce moment la cloche du village tinta lentement, car un homme était mort dans la nuit. Orso fondit en larmes.

Au bout de quelques minutes, Colomba se leva, l’œil sec, mais la figure animée ; elle fit du pouce, à la hâte, le signe de croix familier à ses compatriotes et qui accompagne d’ordinaire leurs sermens solennels ; puis, entraînant son frère, elle reprit le chemin du village. Ils rentrèrent en silence dans leur maison. Orso monta dans sa chambre. Un instant après Colomba l’y suivit, portant une petite cassette qu’elle posa sur la table. Elle l’ouvrit, et en tira une chemise couverte de larges taches de sang. — Voici la chemise de votre père, Orso. — Et elle la jeta sur ses genoux. — Voici le plomb qui l’a frappé. — Et elle posa sur la chemise deux balles oxidées. — Orso, mon frère ! cria-t-elle en se précipitant dans ses bras et l’étreignant avec force ; Orso ! tu le vengeras ! — Elle l’embrassa avec une espèce de fureur, baisa les balles et la chemise, et sortit de la chambre, laissant son frère comme pétrifié sur sa chaise.

Orso resta quelque temps immobile, n’osant éloigner de lui ces épouvantables reliques. Enfin, faisant un effort, il les remit dans la cassette, et courut à l’autre bout de la chambre se jeter sur son lit, la tête tournée vers la muraille, enfoncée dans l’oreiller, comme s’il eût voulu se dérober à la vue d’un spectre. Les dernières paroles de sa sœur retentissaient sans cesse dans ses oreilles, et il lui semblait entendre un oracle fatal, inévitable, qui lui demandait du sang et du sang innocent. Je n’essaierai pas de rendre les sensations du malheureux jeune homme, aussi confuses que celles qui bouleversent la tête d’un fou. Long-temps il demeura dans la même position, sans oser détourner la tête. Enfin, il se leva, ferma la cassette et sortit précipitamment de sa maison, courant la campagne et marchant devant lui sans savoir où il allait.

Peu à peu le grand air le soulagea ; il devint plus calme et examina avec quelque sang-froid sa position et les moyens d’en sortir. Il ne soupçonnait point les Barricini de meurtre, on le sait déjà, mais il les accusait d’avoir supposé la lettre du bandit Agostini ; et cette lettre, il le croyait du moins, avait causé la mort de son père. Les poursuivre comme faussaires, il sentait que cela était impossible. Parfois, si les préjugés ou les instincts de son pays revenaient l’assaillir et lui montraient une vengeance facile au détour d’un sentier, il les écartait avec