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L’ARTÉMISE À TAÏTI.

nom de son fils Otou, depuis célèbre sous le nom de Pomaré II[1]. Ce chef fit aux missionnaires le meilleur accueil, et, soit par calcul, soit par suite d’une méprise, le grand-prêtre de l’idolâtrie indigène ne se montra pas moins dévoué à leur fortune. Le culte de Taïti était alors un fétichisme très tolérant dans lequel les dieux Taaroa, Oro et Manoua jouaient un grand rôle. Les missionnaires, dans leurs gloses, ont eu le soin de faire ressortir les analogies qui existent entre cette théogonie et la trinité chrétienne. Taaroa est le père, Oro est le fils, Manoua le saint-esprit ou l’oiseau. Ces trois dieux, d’un ordre supérieur, commandaient à une foule de divinités subalternes, parmi lesquelles on remarquait Hiro, le maître de l’Océan ; Atoua-Maos les dieux-requins, qui transportaient, s’il faut en croire les traditions locales, d’une île à une autre, à la manière du dauphin d’Amphion, les insulaires dévoués à leur culte ; les dieux de l’air, les dieux du feu, les dieux des arts, les dieux des professions manuelles, etc.

Les fétiches étaient presque toujours des morceaux de bois de casuarina grossièrement sculptés et enveloppés de lambeaux d’étoffes de tapa. La dimension des idoles variait de quelques pouces jusqu’à sept ou huit pieds. Les plus ornées étaient couvertes de tresses en bourre de coco et surmontées de plumes rouges. Les idoles des simples esprits se nommaient des tiis, celles des dieux des tous. Elles n’étaient saintes que lorsqu’elles s’animaient à la voix des prêtres ; hors de là, elles perdaient beaucoup de leur valeur. Pour qu’un fétiche eût droit aux honneurs suprêmes, il fallait qu’il fût décoré avec les plumes écarlates de la queue du phaéton. Ces plumes consacraient l’idole et la plaçaient au premier rang ; elle devenait alors génie, esprit, talisman, amulette, et se pénétrait d’une manière particulière de l’essence même des dieux. Les temples où ces fétiches étaient principalement adorés se nommaient des moraïs, vastes enclos entourés de murs ou de palissades, dans lesquels on avait soin de ménager des chapelles pour les idoles et des tombes pour les chefs. Les arbres distribués autour de cette enceinte étaient sacrés ; on y voyait des casuarinas au feuillage mélancolique, des tesmesias et des cordias qui forment des berceaux impénétrables au soleil. Le culte se composait de prières, d’offrandes et de sacrifices. On immolait aux dieux des poissons, des fruits, des porcs, des oiseaux, et, dans les temps de guerre, des vic-

  1. D’après les usages en vigueur à Taïti de temps immémorial, un chef, quelque rang qu’il occupât, et le souverain lui-même, étaient obligés de se dessaisir de leurs dignités ou de leurs fonctions en faveur de leur premiers-nés.