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REVUE DES DEUX MONDES.

— À un pauvre bandit de ce village, répondit Colomba dans la même langue. Cette petite est sa nièce.

— Il me semble que tu pourrais mieux placer tes dons. Pourquoi envoyer de la poudre à un coquin qui s’en servira pour commettre des crimes ? Sans cette déplorable faiblesse que tout le monde paraît avoir ici pour les bandits, il y a long-temps qu’ils auraient disparu de la Corse.

— Les plus méchans de notre pays ne sont pas ceux qui sont à la campagne[1].

— Donne-leur du pain si tu veux ; on n’en doit refuser à personne, mais je n’entends pas qu’on leur fournisse des munitions.

— Mon frère, dit Colomba d’un ton grave, vous êtes le maître ici, et tout vous appartient dans cette maison ; mais, je vous en préviens, je donnerai mon mezzaro à cette petite fille pour qu’elle le vende, plutôt que de refuser de la poudre à un bandit. Lui refuser de la poudre ! mais autant vaut le livrer aux gendarmes. Quelle protection a-t-il contre eux, sinon ses cartouches ?

La petite fille cependant dévorait avec avidité un morceau de pain, et regardait attentivement tour à tour Colomba et son frère, cherchant à comprendre dans leurs yeux le sens de ce qu’ils disaient.

— Et qu’a-t-il fait enfin, ton bandit ? Pour quel crime s’est-il jeté dans le maquis ?

— Brandolaccio n’a point commis de crimes, s’écria Colomba. Il a tué Giovan’ Opizzo, qui avait assassiné son père pendant que lui était à l’armée.

Orso détourna la tête, prit la lampe, et, sans répondre, monta dans sa chambre. Alors Colomba donna poudre et provisions à l’enfant, et la reconduisit jusqu’à la porte, en lui répétant : « Surtout que ton oncle veille bien sur Orso ! »

XI.

Orso fut long-temps à s’endormir, et par conséquent s’éveilla fort tard, du moins pour un Corse. À peine levé, le premier objet qui frappa ses yeux, ce fut la maison de ses ennemis et les archere qu’ils

  1. Être alla campagna, c’est-à-dire être bandit. Bandit n’est point un terme odieux, il se prend dans le sens de banni ; c’est l’outlaw des ballades anglaises.