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rons lord Palmerston à l’œuvre, nous examinerons quels sont les moyens coërcitifs qu’il veut employer, leur efficacité, leur résultat probable. Supposons pour le moment ce résultat accompli. Le pacha résiste avec succès ou il succombe. Le noble lord veut-il nous dire ce qui arrivera dans l’une et l’autre hypothèse ?

Dans la première, l’alliance anglo-russe acceptera-t-elle le triomphe du pacha ? ou bien est-on disposé à couvrir le Bosphore, l’Égypte, l’Asie-Mineure, la Syrie, de flottes anglaises et de bataillons russes ? Le noble lord pense-t-il que l’Europe assistera les bras croisés à cette lutte, comme des oisifs assistent à un tournoi ?

Si, au contraire, le pacha succombe, à qui fera-t-on croire qu’il pourra conserver paisiblement l’Égypte après avoir été expulsé de la Syrie, après y avoir perdu la fleur de son armée, lorsque sa puissance de fait sera tout ébranlée et qu’elle n’imposera plus à personne ? Dans la situation de Méhémet-Ali on ne tombe pas à moitié. Que deviendront alors l’Égypte, Candie, la Syrie ? On les rendra à la Porte ; et c’est le pouvoir efflanqué du sultan qui pourra se ressaisir de ces provinces, de ces peuples, tout animés, tout bouillans d’idées nouvelles, d’esprit de révolte, de fermentations de tous les genres ! Seraient-ce les chrétiens de la Syrie, seraient-ce les Arabes de l’Égypte qu’on ramènera promptement, pacifiquement sous le sceptre des Turcs ? Nul ne le pense, le noble lord moins que personne. Un journal ministériel anglais a trahi en partie la pensée aventureuse et bizarre de lord Palmerston. Il rêve je ne sais quel établissement en Syrie, je ne sais quel royaume chrétien ou juif sous le protectorat anglais ; il veut faire de la Syrie quelque chose comme les sept îles. Et alors, sans doute, le moins qu’il puisse faire pour son nouvel allié, la Russie, ce sera de lui livrer Constantinople avec je ne sais quel périmètre de l’empire ottoman : tout cela probablement sans troubler la paix générale, sans qu’un coup de canon retentisse en Europe, sans qu’on aperçoive une seule mèche s’allumer dans la Méditerranée ; tout cela probablement en continuant à donner à la France le nom d’alliée, et la France continuant à le recevoir avec une charmante bonhomie !

Rentrons dans le sérieux. Il y a long-temps que nous l’avons dit, la possession de l’Inde, les voies nouvelles que le commerce paraît enclin à prendre à travers la Méditerranée et l’isthme de Suez, l’importance commerciale qui en résultera pour l’Égypte et pour les bords de l’Euphrate, tout cela a depuis quelque temps échauffé l’imagination de quelques personnes, en particulier de lord Palmerston. Il n’en conviendra pas ; mais il s’est dit sans doute à lui-même plusieurs fois que de Malte à Alexandrie il n’y a qu’un pas, et que de là aux Indes, une fois l’Angleterre maîtresse du pays, le trajet deviendrait aussi facile qu’il l’est aujourd’hui de Londres à Alexandrie. C’est en présence des grandes idées, des grands faits sociaux, que les hommes forts, ayant dans l’esprit un avenir réel, se séparent de ces hommes à imagination qui prennent l’impossible pour du grand.

Un homme d’état, en rapprochant la politique européenne de ces circon-