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sûreté de jugement qu’on connaît à cette sorte de voyageurs) ; la moindre démonstration suffira. La France s’intéresse à Méhémet-Ali, elle ne veut pas agir contre lui ; mais elle laissera faire, elle fera entendre quelques plaintes, elle nous enverra une note. Avant que ces communications soient accomplies, que les explications soient données, l’affaire sera terminée, et tout sera dit. C’est ainsi que les choses se sont passées lors des affaires de Modène, de Bologne, de Francfort. »

Ce langage est devenu plus instant, lorsque, d’un côté, les affaires d’Espagne, d’Afrique, de la Plata, ont paru détourner de l’Orient les regards de la France, et lorsque, d’un autre côté, l’insurrection de la Syrie a fait espérer que les forces du pacha ne suffiraient pas à l’étouffer rapidement.

Nous ne voulons pas rechercher ici l’origine secrète de tous ces faits. Sans nous faire l’écho de tous les bruits répandus à cet égard, nous pourrions citer quelques faits singuliers sur lesquels nous reviendrons peut-être un jour ; laissons tout cela pour le moment. Que nous importent les causes premières de ces évènemens ? Nous ne songeons pas à contester à lord Palmerston et aux diplomates russes le mérite, si c’en est un, de ne négliger aucun moyen de succès, et de ne pas trop se montrer difficiles sur le choix.

Mais le fait qui est venu donner l’impulsion décisive à l’impatience frémissante de lord Palmerston, ce sont les avances loyales, pacifiques, que le pacha a faites à la Porte depuis le renvoi de Kosrew ; c’est l’offre spontanée de rendre au sultan sa flotte. Encore une fois, l’histoire refusera de croire à une si grande étrangeté d’humeur et de conduite. — Méhémet-Ali fait des avances ; c’est le moment de le repousser. Il offre de restituer la flotte ; il faut lui débaucher ses populations. Il demande, lui vainqueur, un arrangement raisonnable ; c’est le cas d’aider le vaincu à le fouler aux pieds. — Et pourquoi tant de colère, tant d’empressement à rendre impossible tout arrangement amiable ? Les raisons les voici : et puis ne répétez pas, si vous le pouvez, le fameux mot : quantilla sapientia regitur mundus ! — L’offre de la flotte est un conseil de la France ; c’est donc une preuve de l’influence française, et c’est ainsi que le fait sera envisagé en Orient. — Je crois que le noble lord nous faisait trop d’honneur, et que la France n’était pour rien dans l’offre du pacha. — Il offre la flotte et demande un arrangement ; donc il a peur, donc il est faible ; le moment est venu de l’écraser. — Enfin, disait la Russie, si le traité n’est pas signé, signé à l’instant même, la Porte se décourage ; elle traitera directement avec le pacha ; c’est là ce que veut la France, c’est le but de ses efforts ; et vous, Angleterre, vous perdrez toute influence en Orient. Ce qui voulait dire, traduit en d’autres ternes : si le sultan et le pacha parviennent à s’entendre, il n’y a plus de chances pour les Russes d’être appelés à sauver Constantinople ; notre invasion est indéfiniment reculée ; il faut à tout prix que lord Palmerston, par ses étranges préventions contre la France et sa haine pour le pacha, nous aide à brouiller les cartes. — Ils ont parfaitement réussi.

Ainsi, en résumé, la convention a été signée par la Russie contente, joyeuse ; par l’Angleterre, un seul homme en étant pleinement satisfait, lord Palmers-