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REVUE. — CHRONIQUE.

mencé une phase toute nouvelle dans la politique européenne. Ce n’est pas lui qui aurait approuvé lord Palmerston lorsqu’il imaginait de traiter la France comme une puissance de second ordre, de conclure sans elle, cherchant à l’endormir par de fausses apparences d’amitié, une convention sur un sujet qui intéresse mille fois plus la France que la Prusse, et dans lequel la France a bien autrement le droit d’intervenir, si intervention il y a, que la Prusse, et l’Autriche même.

La Prusse et l’Autriche régentant l’Orient, sans le concours et l’assentiment de la France, comme s’il s’agissait de mettre à la raison je ne sais quel principicule de la confédération allemande !

On est forcé de se demander comment des hommes graves, des hommes d’état consommés, ont pu accepter de pareilles illusions ! Quoi ! parce que la France, dans sa loyauté et dans sa force, a voulu renfermer la révolution de 1830 dans ses propres frontières, qu’elle a préféré les profits certains et solides de la paix aux chances brillantes de la guerre, on aurait pu imaginer que la France acceptera humblement la dictature orientale de la Russie, secondée par l’Angleterre, qui s’aveugle sur ses vrais intérêts ! Étrange erreur ! Ce serait méconnaître la France, le roi, le cabinet ! ce serait prendre la modération pour de la faiblesse, la prudence pour de la timidité ! ce serait raisonner, par une bizarre coïncidence, comme ces partis extrêmes dont on repousse les principes et dont on fait profession de mépriser le jugement !

Il y a, quoi qu’on en dise, au fond du pacte signé à Londres, un reste du vieux levain de la sainte-alliance conservé à Saint-Pétersbourg ; c’est au nom des vieilles haines contre la France qu’on a intrigué à Vienne et à Berlin ; on s’est cru en mesure de braver la royauté de juillet, de lui faire subir un affront. On s’est trompé.

Il n’est pas moins vrai que c’est dans de pareilles intrigues qu’a trempé, sans s’en douter, le ministère anglais, un cabinet whig ; il a fait là ce à quoi, je ne dis pas un ministère radical, mais un cabinet tory n’aurait jamais consenti, car il aurait aperçu le piége, et un sentiment de dignité et de fierté nationale lui aurait dit que le peuple anglais ne ratifiera jamais un pacte qui le met à la suite de l’oppresseur de la Pologne.

Il n’est pas moins vrai que l’Autriche et la Prusse, entraînées par la vieille habitude de marcher d’accord avec la Russie, ont oublié un instant la sage maturité de leurs conseils, cette prévoyance vigilante qui a gardé jusqu’ici la paix du monde, et cela pour signer un pacte dont nul ne peut calculer les conséquences. Cependant ce n’est pas la Russie qui a le plus d’intérêt à bien peser toutes les conséquences de ce traité, à se rendre compte de toutes les nécessités qu’il peut enfanter.

L’assurance orgueilleuse de lord Palmerston a fini par surprendre la religion des hommes d’état éminens qui dirigent les affaires de la Prusse et de l’Autriche. « Il est temps d’en finir, disait-il, le pacha est sans force réelle, il est en horreur aux populations (ce sont là les rapports que lui faisaient deux touristes anglais, jugeant des hommes et des choses avec ce tact et cette