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L’ESPAGNE. — L’ORIENT.

Syrie ou en Égypte. Quelle sera cette armée ? Il n’y a pas un soldat anglais disponible. Jamais un soldat français n’ira en Égypte contre le vice-roi. Les Autrichiens ont dit tout haut qu’on ne les amènerait pas à faire une telle croisade. Restent les Russes. Or, l’Europe consentira-t-elle à voir des Russes en Syrie, et les Anglais les y transporteront-ils ?

Ces raisons données avec modération, patience et fermeté, pendant cinq mois, avaient sensiblement agi sur tous les cabinets. L’impossibilité de trouver des moyens qui ne fussent ni insuffisans, ni dangereux, la certitude donnée par le cabinet du 1er  mars, de l’opposition de la France à certains de ces moyens, avaient détaché tout le monde de la question d’Orient. On souhaitait de toutes parts que l’arrangement direct eût lieu, on le disait clairement.

Cet arrangement direct que la France, par scrupule de loyauté, n’avait pas voulu chercher à opérer de ses propres mains, mais qu’elle avait rendu praticable par les conseils de modération donnés au vice-roi, cet arrangement devenait probable lorsque Méhémet-Ali a envoyé Sami-Bey offrir au sultan la restitution de la flotte turque. Cette offre, personne ne l’avait conseillée, elle était sortie de la joie de Méhémet-Ali, quand il a vu Kosrew destitué.

Qui croirait, qui osera avouer à Londres que c’est ce moment qu’ont choisi les négociateurs pour faire naître une affreuse complication ?

Les négociateurs qui avaient pris à tâche de raccommoder le sultan et le pacha, et qui n’y avaient pas réussi, se sont crus compromis si le pacha et le sultan s’arrangeaient tout seuls. La pensée leur est venue aussitôt d’empêcher l’arrangement direct. On cherchait, on s’agitait pour trouver le moyen, quand la nouvelle de l’insurrection du Liban est survenue. Bien vite on y a vu le moyen coërcitif contre Méhémet, qui jusque-là n’avait pas été découvert, et on a signé brusquement la fameuse convention de Londres.

C’est sur une lettre de deux Anglais voyageurs, qu’on a conçu la pensée de faire échouer toute la puissance de Méhémet-Ali en Syrie, en débarquant sur les côtes des soldats turcs que le sultan n’a pas, en débarquant des vivres, des munitions que les Anglais fourniront.

La Syrie, a-t-on dit, lui échappera ; alors il se soumettra aux conditions que nous lui ferons ; la France, il est vrai, se sera séparée, mais ce ne sera pas pour long-temps.

Telle est la base légère sur laquelle on a posé une si grande, une si dangereuse résolution.

La France s’est séparée, et elle a bien fait ; son cabinet a bien agi,