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L’ESPAGNE. — L’ORIENT.

sultan ou au pacha ; pourvu que le pacha ne vînt pas à Constantinople substituer un empire jeune et vigoureux à un empire décrépit et mourant, le reste lui importait peu. Ce qui lui importait, c’était de séparer la France de l’Angleterre, et elle aurait acheté cette séparation d’un prix plus grand que le sacrifice du pacha d’Égypte. L’Angleterre aurait dû voir que le plaisir d’humilier Méhémet-Ali, de lui ôter un pachalik pour le donner à la Porte, était peu de chose ; elle aurait dû comprendre que, si c’étaient de libres communications qu’elle voulait à travers l’Égypte et la Syrie, elle les aurait avec le pacha comme avec le sultan ; que le sultan, en recouvrant ces provinces, y substituerait l’anarchie à l’administration dure et vigoureuse de Méhémet-Ali, et que l’anarchie valait moins pour les commerçans qui traversent un pays, qu’une autorité même oppressive. L’Angleterre n’a pas vu tout cela ; elle a cédé au désir d’humilier le vice-roi ; son ministre a été sensible aux caresses de la Russie, qui jusque-là l’avait fort maltraité, et il a écouté les propositions Brunow. Pourtant, on les a renvoyées à Pétersbourg une première fois ; elles sont revenues modifiées, et, au mois de mars dernier, elles étaient presque acceptées.

Le général Sébastiani, comme nous l’avons dit, proposa alors, sous prétexte de donner plus de régularité à cette négociation, d’appeler un négociateur turc. Il fit bien, c’étaient deux mois de gagnés. Le temps était bon à employer ici pour donner à tout le monde le moyen de réfléchir et de se calmer.

C’est alors que sont arrivés un nouvel ambassadeur, M. Guizot, un nouveau ministre dirigeant, M. Thiers.

Ces deux personnages se sont concertés, et ont tenu d’accord une conduite qui quelque temps a conjuré le danger, mais qui n’a pas pu le conjurer toujours, surtout quand est venue l’insurrection du Liban.

Le cabinet anglais et les cabinets du Nord ont fait des efforts pour amener les nouveaux représentans de la France aux propositions Brunow.

Que pouvait faire le cabinet français ? Abandonner le vice-roi d’Égypte, consentir aux propositions qui avaient pour but de le dépouiller, de le rendre moindre qu’il n’était avant la bataille de Nézib, c’était là une chose impossible. L’opinion publique en France, et une opinion raisonnable l’aurait condamné impitoyablement. En tenant bon pour le vice-roi, on s’exposait à se séparer de l’Angleterre ! Cela était vrai ; mais tout le monde avait dit à M. Thiers dans les deux chambres : Séparez-vous plutôt que de faire à l’Angleterre le sacrifice de nos intérêts évidens. On disait même à M. Thiers