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s’affichant pour moderados, et d’un ambassadeur anglais s’affichant pour exaltados. — Sachez sans doute préférer le bien au mal, avait dit le ministre à l’ambassadeur, et si un parti veut des choses raisonnables, si un autre en veut d’absurdes, n’affichez pas d’être indifférent entre le vrai et le faux ; mais bornez-vous là : ne partagez les passions de personne ; tenez-vous en dehors des partis ; autrement vous serez compromis, et la France avec vous. Vos conseils même seront sans force. C’est, dit-on, un des motifs pour lesquels M. de Rumigny avait encouru en quelques circonstances la désapprobation du cabinet. Les moderados, qui sont modérés dans leurs doctrines, mais un peu exaltés par caractère, ont fort mal pris ces conseils de prudence, et ont prétendu que le ministère français voulait faire passer l’influence aux exaltados. Il n’en était rien, le ministère français voulait de la mesure dans la conduite de ceux qui le représentaient ; mais il ne voulait porter l’influence ni aux uns ni aux autres ; il regardait cela comme hors du droit et du pouvoir d’un ambassadeur étranger.

Est survenu, comme nous le disions, le projet de voyage de la reine. Le ministère français l’a vivement blâmé, et cela par un droit qui ne lui aurait point appartenu, si on n’avait pas offert à l’ambassadeur d’en faire partie. L’ambassadeur y avait à peu près consenti ; le ministère l’a rappelé sur-le-champ. Le ministère français ne voulait à aucun prix rendre la France responsable de ce qui se passerait à Barcelone ; il craignait, si des désordres éclataient, que la personne de l’ambassadeur ne fût compromise, M. de Rumigny surtout étant devenu odieux aux exaltados, qui lui en voulaient cruellement. Le rappel de l’ambassadeur, l’envoi d’un nouveau représentant, homme ferme, intelligent, habitué à se conduire entre les partis, allait donner le temps de juger le but et la conduite du voyage. Puisqu’on n’avait pas pu l’empêcher, il y avait toute convenance à n’y prendre aucune part, mais à se tenir prêt à pourvoir aux éventualités qu’il pourrait faire naître. Le nouvel ambassadeur, M. de la Redorte, reçut ordre de se tenir à quelque distance de Port-Vendres.

Ce déplorable voyage a eu lieu. La reine, fêtée par l’armée et le peuple, insultée par quelques municipalités, obsédée dans plusieurs de ses stations par Espartero, qui lui a purement et simplement demandé la présidence du conseil, est arrivée à Barcelone un jour satisfaite, un autre jour désolée d’avoir entrepris ce voyage. À Barcelone, elle a plusieurs jours de suite attendu Espartero. Il semblait vouloir laisser percer une nuance de mécontentement ; il est venu enfin, et a reçu une ovation indigne de lui, une ovation de la plus vile popu-