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alors Espartero, manquait de tout !… l’armée, à laquelle on a prodigué depuis quelques années tous les trésors de l’Espagne ! Cet état insupportable pour tous les ministères était cependant supporté par eux, grace à la guerre civile. Mais la guerre civile finissant, Espartero a vu son rôle fini, ou bien M. Linage l’a vu pour lui, et a décidé qu’Espartero serait ministre. Le voyage de la reine en a fourni l’occasion.

C’est ici le cas d’expliquer ce singulier voyage ; et le rôle qu’a joué la diplomatie française en Espagne.

La reine s’est mis en tête le projet d’aller en Catalogne. On ne sait pas bien encore le vrai motif de ce déplorable voyage. Les infans qui sont à Paris ont cru que c’était pour marier la jeune reine à un prince de Cobourg qui vient de quitter Lisbonne, et qui, voyageant actuellement en Espagne, vient de toucher à Cadix, Malaga, Valence, etc. Les modérés de Madrid ont dit que la reine allait les livrer à Espartero. Les exaltés eux-mêmes, pour lesquels on disait le voyage préparé, ont cru que la reine s’éloignait de Madrid pour faire un coup d’état contre la constitution, et dans le but de rétablir le statut royal. C’est bien la preuve que tous se trompaient, et que le voyage n’était préparé avec et pour aucun d’eux.

La reine avait probablement les plus frivoles motifs, nous étonnerions si nous disions les plus vraisemblables. Nous sacrifierons au respect que mérite une reine pleine de cœur et d’esprit, nourrie d’amertumes depuis sept ans, nous sacrifierons le plaisir de curiosité que nous pourrions donner à nos lecteurs. Mais au travers des frivoles motifs qui l’entraînaient, la reine croyait trouver un motif politique qui excusait à ses propres yeux la légèreté de sa résolution ; elle espérait exercer sur Espartero un ascendant qui, en général, s’est trouvé irrésistible toutes les fois qu’elle a voulu l’exercer. Ses ministres, parlant au nom des modérés, ne cessaient de lui dire qu’Espartero voulait usurper. Elle a pris je ne sais quel plaisir de reine et de femme à le leur montrer à ses pieds, soumis, raisonnable, tout prêt peut-être à aller s’endormir dans le sein d’un ministère qu’il couvrirait de son nom, et par lequel il serait conduit comme il a coutume de l’être.

Vaine et déplorable illusion, payée d’un effroyable et funeste scandale ! Quand la reine a fait part de ce projet à ses ministres et au corps diplomatique, elle a reçu d’inutiles conseils. Le ministère français, ayant pour principe de respecter l’indépendance de l’Espagne, avait toujours recommandé à l’ambassadeur de ne pas se faire homme de parti, de s’abstenir de vivre au milieu des coteries, de ne pas renouveler un spectacle déjà donné, celui d’un ambassadeur français