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choses dont il n’est pas encore temps de vous parler. Quand on examine sa conduite sur les principes de l’Évangile, on y trouve des vides effroyables. » Mais le médecin éclairé, et qui sût prendre en main cette ame oscillante et endolorie, tardait toujours. C’est alors que les conseils de M. de Bernières, de M. Le Nain peut-être (père de M. de Tillemont et chef du conseil de Mme de Longueville), à coup sûr l’entremise de M. de Sablé, indiquèrent à la postulante en peine Port-Royal et ses directeurs.

À la date d’avril 1661, on lit dans une lettre de la mère Angélique à Mme de Sablé, qu’elle avait vu Mme de Longueville, et l’avait trouvée plus solide et plus mûrie qu’on ne la lui avait annoncée : « Tout ce que j’ai vu en peu de temps de cette princesse m’a semblé tout d’or fin. » M. Singlin, déjà obligé à cette époque de se cacher pour éviter la Bastille, consentit à se rendre près de Mme de Longueville, et il fut celui qui le premier éclaira et régla sa pénitence.

Je trouve une lettre de Mlle de Vertus à Mme de Sablé, ainsi conçue (car, selon moi, tous les détails ont du prix touchant des personnes si élevées, si délicates et finalement si respectables) :

« Enfin je reçus hier au soir un billet de la dame (Mme de Longueville). On vous supplie donc de faire en sorte que votre ami (M. Singlin) vienne demain ici, afin qu’on n’ait pas l’inquiétude qu’il soit connu dans son quartier. Il peut venir en chaise et renvoyer ses porteurs, et je lui donnerai les miens pour le reporter où il lui plaira. S’il lui plaît de venir dîner, on le mettra dans une chambre où personne ne le verra qui le connaisse, et il est mieux, ce me semble, qu’il vienne d’assez bonne heure, c’est-à-dire entre dix et onze heures au plus tard… J’ai bien envie que cela soit fait, car cette pauvre femme[1] n’a pas de repos. Faites bien prier Dieu, je vous en conjure. Si je la puis voir en de si bonnes mains, j’aurai une grande joie, je vous l’avoue ; il me semble que je serai comme ces personnes qui voient leur amie pourvue et qui n’ont plus qu’à se tenir en repos pour elles. C’est que, dans la vérité, cette personne se fait d’étranges peines, qu’elle n’aura plus quand elle sera fixée. J’ai bien peur que votre ami ait trop de dureté pour nous. Enfin, il faut prier Dieu et lui recommander cette affaire[2].

M. Singlin, une fois introduit, revint souvent ; il faisait ses visites

  1. Cette pauvre femme. Mme de Sévigné, parlant de la mort de M. de Turenne, dit ce pauvre homme. Si grands que nous soyons ou que nous croyons être, il est plus d’une circonstance, et il viendra tôt ou tard un jour où l’on dira de nous : Ce pauvre homme ! Cette pauvre femme ! et où l’on ne dira que juste par cette expression de pitié, qui sera encore, à la bien prendre, une générosité d’ame.
  2. Bibliothèque du roi, manuscrits. Papiers de Mme de Sablé. Résidu de Saint-Germain, paquet 4, no 6, 7e portefeuille.