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Comme pourtant quelques traits du puissant orateur auraient fixé, dans une majesté gracieuse, cette figure d’éblouissante langueur, ce caractère d’ingénieuse et séduisante faiblesse, d’une faiblesse qui ne fut jamais plus agissante que quand elle était plus subjuguée ! Comme elle se fût admirablement dessinée dans ce même fond de tempêtes et de tourbillons civils, où il a jeté et détaché l’autre princesse ! On connaît cette grande page sur la Fronde, on ne la saurait trop rouvrir, j’y renvoie[1]. Il ne l’eût pas écrite autrement pour cette oraison funèbre absente, qui est un de mes regrets.

À défaut de cette grandeur de peinture qui nous supprimerait, la chronique des mémoires est là qui nous soutient. En me servant de la clé que fournit La Rochefoucauld, j’ai pu déjà, dans le portrait de ce dernier, simplifier et dire comment la direction de Mme de Longueville fut autre avant l’époque de la prison des princes, et après cette prison. Dans le premier temps, c’est-à-dire pendant le siége de Paris (1648), brouillée avec le prince de Condé, elle ne suivit que les intérêts et les sentimens de M. de La Rochefoucauld ; elle les suivait encore, lorsqu’après la signature de la paix (avril 1649), elle postulait pour lui en cour brevets et priviléges, lorsqu’après l’arrestation des princes ses frères (janvier 1650), elle s’enfuyait avec toutes sortes de périls de Normandie en Hollande par mer[2], et arrivait, bien glorieuse enfin, à Stenay, où elle traitait avec les Espagnols et troublait Turenne.

À son retour en France après la sortie des princes et dans les préliminaires de la reprise d’armes, elle semblait suivre encore les mêmes sentimens, bien qu’avec un abandon moins décidé. On la voit dans ses conseils près de M. le Prince, à Saint-Maur, tantôt vouloir l’accommodement parce que M. La Rochefoucauld le désire, tantôt vouloir la rupture parce que la guerre l’éloigne de son mari, « qu’elle n’avoit jamais aimé, dit Retz, mais qu’elle commençoit à craindre. » Et il ajoute : « Cette constitution des esprits auxquels M. le Prince

  1. Oraison funèbre d’Anne de Gonzague, depuis ces mots : « Pour la plonger entièrement dans l’amour du monde… » jusqu’à cette phrase : « Ô éternel Roi des siècles, voilà ce qu’on vous préfère, voilà ce qui éblouit les rimes qu’on appelle grandes ! »
  2. Ses aventures près de Dieppe furent romanesques. Elle erra plusieurs jours le long des côtes. Si elle avait pu faire dans le pays une Vendée, ou, comme on disait alors, une Fronde, elle l’aurait entreprise, et se sentait de cœur pour cela. Elle trouva enfin à s’embarquer à bord d’un vaisseau anglais, et y fut reçue sous le nom d’un gentilhomme qui s’était battu en duel.