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MADAME DE LONGUEVILLE.

nomie à laquelle s’attache un enchantement immortel, et qui, même sous ses voiles redoublés, nous venait sourire du fond de notre cadre austère. Nous l’en détachons pour la donner ici.

Mlle Anne-Geneviève de Bourbon, fille d’une mère bien belle[1], et dont la beauté, si fort convoitée par Henri IV, avait failli susciter aussi bien des guerres, parut très jeune à la cour, et y apporta, près de Mme la Princesse, encore hautement brillante, « les premiers charmes de cet angélique visage qui depuis a eu tant d’éclat, et dont l’éclat a été suivi de tant d’évènemens fâcheux et de souffrances salutaires[2]. »

Ses plus tendres pensées pourtant furent à la dévotion ; sa fin ne fit que réaliser et ressaisir les rêves mystiques de son enfance. Elle accompagnait souvent Mme la Princesse aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques ; elle y passait de longues heures, qui se peignirent d’un cercle idéal en son imagination d’azur, et qui se retrouvèrent tout au vif dans la suite après que le tourbillon fut dissipé. Elle avait treize ans (1632) quand son oncle Montmorency fut immolé à Toulouse aux vengeances et à la politique du cardinal ; cette jeune nièce, frappée dans sa fierté comme dans sa tendresse d’un coup si sensible, eût volontiers imité l’auguste veuve, et voué dès-lors son deuil à la perpétuité monastique. Cependant sa mère commençait à craindre trop de penchant en elle vers les bonnes carmélites ; elle croyait trouver que ce blond et angélique visage ne s’apprêtait pas à sourire assez au monde brillant qui l’allait juger sur les premiers pas. À quoi Mlle de Bourbon répondait avec une flatterie instinctive qui démentait déjà les craintes : « Vous avez, madame, des graces si touchantes que comme je ne vais qu’avec vous et ne parais qu’après vous, on ne m’en trouve point[3]. » Le tour de l’esprit de Mlle de Longueville perce d’abord dans ce mot-là.

On raconte que, lorsqu’il s’agit du premier bal où Mlle de Bourbon dut aller pour obéir à sa mère, ce fut chez les carmélites un grand conseil ; il fut décidé, pour tout concilier, qu’avant d’affronter le péril, elle s’armerait en secret, sous sa parure, d’une petite cuirasse appelée cilice. Cela fait, on crut avoir pourvu à tout, et Mlle de Bourbon ne s’occupa plus qu’à être belle. À peine entrée au bal, ce fut autour d’elle un murmure universel d’admiration et de louanges ;

  1. Charlotte de Montmorency, princesse de Condé.
  2. Expressions de Mme de Motteville.
  3. J’emprunte beaucoup pour ces commencemens à la véritable Vie de la duchesse de Longueville, par Villefore (1739).