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les Annales de Chimie et de Physique, et plusieurs autres recueils périodiques. Le nombre des notes ou mémoires imprimés de M. Poisson s’élève à plus de trois cent cinquante, auxquels il faut ajouter les ouvrages séparés, tels que le Traité de Mécanique, la Théorie de l’action capillaire, la Théorie de la chaleur, les Recherches sur la probabilité des Jugemens, et le livre où l’on expose le mouvement des projectiles : travaux considérables, dont chacun aurait coûté plusieurs années à tout autre qu’à M. Poisson. Euler avait déjà donné l’exemple d’une prodigieuse fécondité ; mais l’illustre géomètre de Bâle est mort dans un âge très avancé, tandis que le savant français nous a été ravi au milieu de sa carrière et dans toute la vigueur de son esprit.

Malgré sa facilité, on conçoit qu’il était impossible à M. Poisson de continuer à vivre dans le monde pendant qu’il se livrait à des travaux si nombreux. Marié en 1817 à mademoiselle de Bardi, d’une ancienne famille du Languedoc, originaire de Florence, il devint père de quatre enfans, se retira peu à peu de la société, et trouva dans sa famille le bonheur paisible auquel il aspirait. Mais le goût de la retraite, alimenté par le besoin du travail et par l’amour de la science, devint si vif chez lui, que bientôt il ne sortit plus que pour remplir les fonctions dont il était chargé. Il passait la journée enfermé dans son cabinet, sans jamais y admettre personne, sous quelque prétexte que ce fût. Là, depuis dix heures du matin jusqu’à six heures du soir, il s’occupait sans relâche de ses recherches scientifiques. Puis il dînait, et le soir, lorsqu’il n’avait point d’épreuves à corriger, il aimait à jouer avec ses enfans et à causer avec quelques amis. À le voir alors si gai, si léger d’esprit, on ne se serait pas douté du travail auquel il s’était livré toute la journée. Une partie de whist ou de piquet semblait le reposer de ses graves méditations, et il s’abstenait scrupuleusement de parler de science, à moins toutefois que de jeunes savans ne vinssent le consulter, car il s’empressait toujours de leur communiquer ses idées et de diriger leurs premiers pas. Cette vie si uniforme, si occupée, ce travail continuel de l’esprit dans un corps qui se condamnait à une immobilité complète, finirent, malgré sa constitution robuste, par altérer sa santé. Il perdit le sommeil, commença à maigrir, et fut pris de vomissemens qui se renouvelaient fréquemment après son dîner. À cette époque, il était peut-être temps encore de prévenir une catastrophe ; mais, sourd aux conseils des médecins, aux instances de sa famille et de ses amis, il se refusa avec une invincible opiniâtreté à tout ce qui pouvait le sauver. Plus il était