Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/421

Cette page a été validée par deux contributeurs.
417
LES SCIENCES EN FRANCE.

Lagrange. Ce premier essai avait tellement excité l’attention de ce grand géomètre, qu’à sa mort, arrivée long-temps après, on trouva dans ses papiers la note originale qui lui avait été remise par l’obscur élève de l’École Polytechnique, et à laquelle il avait ajouté une apostille, comme s’il eût voulu prédire ainsi ce que l’auteur deviendrait un jour[1]. Cette note n’est pas seulement remarquable comme le premier pas dans la carrière des sciences d’un homme qui devait bientôt la parcourir si rapidement, mais surtout parce qu’elle révèle déjà la méthode, la pénétration de M. Poisson, et surtout le cachet de son esprit, qui ne montrait jamais plus de force et de sagacité que lorsqu’il s’agissait de perfectionner les travaux des autres, et qui aimait de préférence à s’exercer sur les difficultés qui avaient arrêté ses devanciers. Le jeune géomètre ne pouvait pas en rester à ce début. Après avoir rédigé en commun avec M. Hachette une addition à un mémoire de Monge sur la géométrie analytique, il présenta à l’Institut, dans la séance du 16 frimaire an IX (8 décembre 1800), un travail relatif au nombre d’intégrales complètes dont les équations aux différences finies sont susceptibles. Dans cet écrit, M. Poisson généralisait les méthodes de Monge et de Charles, et parvenait à de nouveaux résultats. MM. Lacroix et Legendre, commissaires nommés par l’Académie, déclarèrent que la théorie établie par ce jeune géomètre était exacte et que « l’on devait regarder comme contribuant aux progrès de la science l’éclaircissement d’un point d’analyse qui jusqu’alors était resté dans une grande obscurité. » Le rapport se terminait en demandant pour ce mémoire l’approbation de l’Institut et l’impression dans le recueil des Savans étrangers. C’est le seul exemple d’un tel honneur rendu à un jeune homme de dix-huit ans.

Ce rapport si honorable stimula puissamment l’ardeur de M. Poisson. Aussi le vit-on coup sur coup présenter à l’Académie un grand nombre de mémoires où la science recevait toujours quelque nouvel accroissement. À vingt-quatre ans, on le considérait déjà comme un géomètre consommé. C’est ce que prouvent les rapports lus à l’Institut, le 13 janvier 1806, sur deux de ses mémoires, rapports dans lesquels les commissaires, qui étaient les plus illustres mathématiciens de l’Europe, exprimaient et motivaient hautement leur appro-

  1. Ce papier original existe encore ; il est intitulé : « Note sur la leçon donnée par le C. Lagrange, le 5 pluviose an VII. » M. Poisson y démontre que le coefficient du second terme du développement du binome de Newton, coefficient qu’il considère en général comme une fonction de l’exposant, est toujours égal à cet exposant, quelles que soient la nature et la valeur de celui-ci.