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prouve qu’il avait en outre lu seul la Géométrie descriptive de Monge et la Théorie des Fonctions analytiques de Lagrange. De si étonnans progrès lui méritèrent toute l’affection de M. Billy, qui pendant deux ans fut pour lui comme un père, et qui ne cessa jamais de lui prodiguer les marques du plus vif attachement. Cette amitié, fondée sur l’admiration et sur la reconnaissance, ne s’est éteinte, au bout de trente-cinq ans, qu’avec la vie de celui à qui la France doit M. Poisson.

Le jeune mathématicien n’avait obtenu la permission de quitter la chirurgie qu’à la condition de s’ouvrir dans les sciences une carrière profitable, et il paraît qu’à Pithiviers on n’avait pas une foi aveugle dans les promesses de M. Billy. Pour convaincre les plus incrédules, celui-ci engagea son élève à se présenter à l’examen d’admission de l’École Polytechnique. M. Poisson, âgé de dix-sept ans, vint alors à Paris, où il fut examiné par Labey, et se retira ensuite chez ses parens pour attendre le résultat du concours. Le hasard cacha longtemps ce résultat à la juste impatience de sa famille. En effet, la lettre destinée à le lui apprendre était pliée de manière qu’en l’ouvrant on enleva, sans qu’il fût possible de le lire, le passage qui devait faire connaître le sort du candidat. Ce fut encore un motif de craintes et d’hésitations. Enfin la nouvelle arriva par d’autres voies, et l’on sut à Pithiviers que l’élève de M. Billy avait été reçu le premier et hors de rang dans la promotion de 1798. Alors l’étonnement et la joie succédèrent à la défiance, et l’on put se convaincre que les prédictions du professeur commençaient à se réaliser.

À cette époque, l’École Polytechnique renfermait l’élite des savans de la France et de l’Europe. Lagrange, Laplace, Monge, Prony, Fourier, Berthollet, Fourcroy, Vauquelin, Guyton-Morveau, Chaptal, y étaient attachés à différens titres, et leur exemple excitait des élèves qui devaient à leur tour devenir des maîtres célèbres. Cette école était alors fort différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Au lieu d’être casernés, comme ils l’ont toujours été depuis 1805, et de payer comme à présent une pension, les élèves recevaient la solde de sergens d’artillerie et logeaient dans des maisons particulières, sans être soumis aux sévères lois de la discipline militaire. C’était une institution toute républicaine. Je ne saurais traiter ici, monsieur, cette question du casernement, qui a été discutée si souvent aux chambres, et sur laquelle les meilleurs esprits sont partagés. Ne croyez-vous pas cependant qu’en cela, comme en toute chose, il faut s’efforcer de mettre les moyens en harmonie avec le but que l’on se propose d’atteindre ? Les règlemens, la discipline sévère, les études uniformes