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LES SCIENCES EN FRANCE.

dont les noms sortent de toutes les bouches quand les nations se disputent la prééminence intellectuelle. Depuis quarante ans, M. Poisson n’a cessé de contribuer avec une infatigable activité aux progrès des sciences mathématiques, et personne n’a songé à lui contester l’héritage de Laplace. En venant aujourd’hui vous retracer les principales circonstances de la vie de cet homme célèbre, en vous rappelant quelques-uns de ses travaux les plus remarquables, je crois satisfaire encore à votre désir de connaître chez nous la marche des sciences, qui certes n’avaient nulle part de plus ardent promoteur ni de plus digne représentant.

Siméon-Denis Poisson naquit à Pithiviers[1], le 21 juin 1781. Sa famille n’avait pas de fortune. Son père, qui s’appelait aussi Siméon, avait servi dans les guerres d’Allemagne comme simple soldat ; rentré dans ses foyers, il acquit une petite charge de greffier et devint juge de paix à la révolution. Siméon Poisson était un homme simple et bon, dont la fermeté et la droiture avaient laissé une profonde impression dans le cœur de son fils, qui le perdit trop tôt, et qui ne cessa jamais de parler de lui avec vénération. Le géomètre futur ne fut conservé à la science que par une espèce de miracle. Dès le berceau, il fut atteint d’une indisposition grave : son père, qui avait vu disparaître tous ses enfans au même âge, le crut mort, et, ne pouvant s’expliquer ces pertes si rapides, se rendit chez la nourrice accompagné d’un chirurgien afin de le faire ouvrir et de connaître les causes du mal ; mais l’enfant respirait encore, et la main qui devait le disséquer le guérit.

Sa première éducation fut très négligée. Il n’apprit à Pithiviers qu’un peu à lire et à écrire, et les traitemens barbares qu’il eut à supporter de la part de son maître laissèrent dans son jeune cœur un souvenir ineffaçable qu’il invoqua souvent plus tard, lorsqu’il fut en position d’exercer une si haute influence sur l’enseignement. Comme on était pressé de lui faire embrasser un état, on le conduisit de bonne heure à Fontainebleau auprès d’un de ses oncles appelé M. Lenfant, qui était chirurgien, et qui se chargea avec une affection toute paternelle de l’initier à l’art de guérir.

M. Poisson resta plusieurs années chez son oncle, qui l’emmenait

  1. La ville de Pithiviers, qui sent vivement l’honneur d’avoir donné à la France M. Poisson, a décidé qu’un monument serait élevé à sa mémoire, et elle a souscrit pour une somme égale à celle que la ville de Montbéliard destina au monument de Cuvier. Cette souscription, à laquelle l’Institut et l’École Polytechnique ont déjà voulu s’associer, doit exciter les sympathies de tous ceux qui aiment les sciences et la gloire nationale.