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et tout rentra dans le silence et l’abattement. À la cour de Kœnigsberg, la consternation fut profonde et mêlée de terreur. L’audace intempestive des sectaires était un crime que peut-être, dans sa méfiance et sa haine, l’empereur Napoléon ne pardonnerait point. Afin d’apaiser ses soupçons, le roi séquestra les biens du duc de Brunswick-Oëls, ordonna la dissolution du Tugend-Bund et en fit saisir les archives. Schill, le grand coupable, fut mis au ban de l’armée, déclaré traître à son pays et condamné à mort ainsi que ses complices. La sentence, comme on peut le croire, ne reçut point son exécution. Schill, d’ailleurs, se fit tuer les armes à la main.

La bataille d’Essling, présentée par nos ennemis comme une défaite complète de la grande armée, ranima les espérances et l’activité du Tugend-Bund. Le cri de guerre retentit de nouveau aux oreilles du roi, et il eut besoin de toute la fermeté que la nature lui avait départie pour réprimer les passions imprudentes qui grondaient autour de lui. Il lui fallut lutter contre la plupart de ses ministres qui demandaient la guerre. « Je ne veux point descendre déshonoré dans la tombe, lui écrivait le général Scharnoost, et je le serais si je ne conseillais à votre majesté de profiter du moment actuel pour faire la guerre à la France. Voulez-vous que l’Autriche victorieuse vous rende vos états comme une aumône, ou que Napoléon désarme vos soldats comme la milice d’une municipalité ? » Blücher, qui semblait n’exister que pour nous chercher des ennemis, type énergique des passions populaires de l’Allemagne à cette époque, caressé et craint tant à la fois par la cour qui lui pardonnait sa fougue de sectaire à cause de son dévouement, Blücher écrivit directement au roi en termes peu mesurés, pour se plaindre de l’occasion perdue, demandant son congé, et aimant mieux, disait-il, aller mourir sous un drapeau étranger que de rester témoin de la chute du trône.

La conduite de Frédéric-Guillaume, pendant la guerre de 1805, fut pleine de timidité et d’irrésolution ; dans celle de 1809, elle ne fut que modérée et prudente. En 1805, sa monarchie était intacte ; il disposait de toutes ses ressources ; la Russie et l’Autriche combattaient sous le même drapeau. Son adhésion à la coalition aurait modifié certainement le cours des évènemens. Dans la guerre actuelle, au contraire, toutes ses ressources étaient épuisées, toutes ses forces organisées ne dépassaient pas cinquante mille hommes ; son matériel de guerre était détruit. Il fallait du temps pour le recréer : chevaux, artillerie, tout lui manquait ; sa population était réduite de moitié ; enfin, et cette circonstance était décisive, la Russie était l’alliée de la