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circonstance, il attribua à une autre cause son immobilité. Il crut qu’il était d’intelligence avec Alexandre, et que la partie était définitivement liée entre les deux souverains. Sous l’influence de ce soupçon, il résolut de se mettre en mesure, et il distribua ses corps d’armée de manière à ce qu’au premier ordre ils fussent prêts à fondre sur la Prusse et à l’écraser. C’est aussi ce qui le détermina à proposer à la Saxe et à la Hesse, qui étaient comprises dans la circonscription de la Prusse, de ne point céder à ses instances et de se rattacher à la confédération du Rhin. En apprenant tous ces faits, le roi retomba dans ses angoisses habituelles ; ses dernières espérances s’évanouirent, et il crut que l’empereur était décidé à lui faire la guerre. C’est ainsi qu’égarées par de mutuelles défiances et par un inconcevable enchaînement de fautes, la France et la Prusse allaient fondre l’une sur l’autre, quand tous leurs intérêts leur conseillaient de rester unies. Un dernier incident détermina la rupture. Le cabinet de Paris avait entamé deux négociations séparées, l’une avec la Russie, l’autre avec l’Angleterre. La première avait abouti au traité du 30 juillet, signé par M. d’Oubrill et envoyé aussitôt à l’empereur Alexandre pour être ratifié. La seconde n’avait été suivie d’aucun résultat pacifique. Au début de la négociation, l’Angleterre avait exigé, comme une condition de rigueur, la restitution du Hanovre. L’empereur devait s’y attendre. Comme il avait un extrême désir de faire la paix, il céda, sauf à indemniser la Prusse. Lorsque le gouvernement anglais eut perdu l’espoir de faire la paix, il eut la lâcheté de livrer au cabinet de Berlin le secret des négociations sur le Hanovre. En apprenant que l’empereur, qui l’avait forcé à s’emparer malgré lui de l’électorat, voulait le lui reprendre pour le restituer à l’Angleterre, sans s’être préalablement concerté avec lui, le roi fut saisi d’une violente douleur, et n’écoutant que son ressentiment, il se prépara à la guerre. Bientôt la fatale nouvelle fut rendue publique. L’opinion s’exalta, et de toutes parts on courut aux armes.

Les marques de dédain dont Napoléon avait récemment accablé la Prusse avaient porté jusqu’au dernier degré d’irritation l’esprit de l’armée. Toute remplie des souvenirs glorieux du règne de Frédéric II, elle s’exagérait sa force ; elle ne parlait qu’avec mépris des armées de l’Autriche et de la Russie ; elle se croyait appelée à venger les défaites d’Ulm et d’Austerlitz, et à humilier l’orgueil de celui qui avait abaissé tant de couronnes. La cour et la jeune noblesse partageaient l’ivresse de cet orgueil. S’arrachant à ses habitudes féminines, la reine donnait l’impulsion aux sentimens guerriers, et poussait le roi à prévenir