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la Prusse perdait quatre cent mille sujets, et par l’acquisition du Hanovre, elle en recevait un million.

Si Frédéric-Guillaume a fait une faute irréparable en signant la convention de Potsdam, Napoléon nous semble en avoir commis une autre presque aussi grave en lui imposant le traité du 15 décembre. Le but principal qu’il poursuivait dans ses victoires sur le continent était le rétablissement de la paix avec l’Angleterre. Or, il savait bien que la première condition qu’elle y mettrait serait la restitution du Hanovre. Pourquoi, dès-lors, faire de l’incorporation de cet électorat à la Prusse une base d’alliance qui devait disparaître aux premières négociations sérieuses qui s’ouvriraient entre les cabinets de Paris et de Londres ? Pourquoi, surtout, exiger qu’en retour d’une possession d’un prix inestimable sans doute pour la Prusse, mais dont l’acquisition devait rencontrer des obstacles presque insurmontables, le roi cédât d’une manière définitive des pays qui lui appartenaient à des titres incontestables et reconnus par toute l’Europe ? Pardonner à un ennemi en langage superbe et menaçant est une vengeance plus qu’un acte de clémence. Il n’y a que les partis francs et complets qui atteignent leur but. L’empereur voulait se montrer généreux envers la Prusse ; il ne fallait pas l’être à demi, et lui dire : Je vous pardonne, mais je vous humilie.

Si, au lieu de lui imposer avec l’alliance des sacrifices qui pouvaient rester un jour sans compensation, l’empereur eût fermé les yeux sur ses torts et lui eût proposé, dans les formes les plus amicales, sans coup d’éclat, de s’unir à lui et d’accepter purement et simplement le Hanovre ; si, prévoyant le cas où l’Angleterre exigerait absolument la restitution de l’électorat, il eût pris l’engagement formel d’en procurer à son allié l’équivalent ; si, enfin, il n’avait pas insisté pour qu’il passât brusquement, sans les transitions que lui imposait le sentiment de sa dignité, des bras de la Russie dans les siens, il est possible que Frédéric-Guillaume, dont l’ame était noble et délicate, eût été touché de tant d’égards et se fût attaché sincèrement à sa fortune. L’alliance qu’il n’avait osé signer, lorsque l’Autriche et la Russie marchaient contre nous, il l’eût probablement acceptée comme un bienfait du vainqueur d’Ulm et d’Austerlitz. S’il s’y était refusé, il valait mieux encore lui laisser l’entière responsabilité de ses fautes et des malheurs qu’elles devaient entraîner, que de lui montrer le joug avant de l’avoir vaincu.

Lorsque le traité du 15 décembre eut été rendu public, l’opinion