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SAVANTES.

son margraviat, entra dans un violent accès de colère. Son premier mouvement fut de rompre avec la France. À la cour, dans l’armée, dans les salons de la noblesse, il n’y eut qu’un cri, cri de fureur et de guerre contre nous. L’opinion, qui, la veille encore, était peu favorable à la Russie, prit la France pour objet de sa haine. On ne parlait que de se venger du honteux affront que nous venions d’infliger à l’honneur de la Prusse. L’occasion était belle pour entraîner le roi, qui ne cessait de répéter depuis quelque temps qu’il se déclarerait contre le premier qui attenterait à sa neutralité. Les ministres d’Angleterre, de Russie et de Vienne s’agitent, l’entourent et le somment de tenir sa parole. La reine est alors à la tête du mouvement guerrier. Des exprès sont envoyés en toute hâte à l’empereur Alexandre, qui avait écrit au roi pour lui demander une entrevue et qui attendait sa réponse à Pulawi. On l’instruit de l’incident d’Anspach ; on lui dit que le moment est venu de s’emparer de Frédéric-Guillaume, et on le presse d’arriver sans délai à Berlin. Alexandre quitte aussitôt Pulawi et tombe à l’improviste au milieu de la famille royale de Prusse. Le roi, pressé, subjugué par les passions vraies ou factices qui s’agitent avec fureur pour l’entraîner, ne peut plus résister au torrent : il se laisse arracher la convention de Potsdam (3 octobre 1805). Une scène nocturne et théâtrale est préparée à dessein dans les caveaux de Potsdam, où reposent les cendres de Frédéric II. L’empereur de Russie, le roi et la reine s’y rendent dans la nuit du 3 au 4 octobre : Alexandre, saisi d’une émotion profonde, baise le cercueil du grand homme, et les souverains se séparent après s’être juré foi et amitié sur la tombe de Frédéric.

Le traité de Potsdam n’était point une alliance proprement dite, mais une simple promesse d’alliance dont l’exécution dépendait de l’acceptation ou du refus par Napoléon des bases de pacification que devait lui soumettre le comte d’Haugwitz. Un terme de rigueur, le 15 décembre 1805, avait été fixé pour l’acceptation ou le rejet des propositions.

Tout porte à penser que les conditions dont était porteur le comte d’Haugwitz n’avaient point la précision d’un ultimatum, qu’une grande latitude lui avait été laissée à cet égard, et que ses propositions devaient varier selon que la fortune de l’empereur aurait grandi ou baissé dans l’intervalle. On savait à Berlin que les grands coups seraient portés avant le 15 décembre. Napoléon serait vainqueur ou vaincu. Dans le premier cas, le comte d’Haugwitz irait le complimenter ; dans le second, il lui dicterait la loi.