Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
366
REVUE DES DEUX MONDES.

protecteur du parti apostolique. C’étaient les votes ecclésiastiques qui, depuis deux siècles, assuraient à sa maison une majorité constante dans le sein de la diète. Livrer les dépouilles du clergé aux princes laïcs, c’était ruiner de ses propres mains son parti en Allemagne et exposer sa maison à la honte de voir la couronne impériale passer un jour dans celle de Brandebourg et orner le front d’un hérétique. L’Autriche ne pouvait donc se résoudre à consommer des changemens qui devaient porter un coup si terrible à sa suprématie. Après la paix de Lunéville, elle n’eut qu’une pensée, celle de se soustraire à l’exécution de ses engagemens et de gagner du temps. Elle se conduisit comme après la paix de Campo-Formio ; elle chercha à entraver, par mille obstacles, les travaux de la diète, ne se jetant dans le dédale des prétentions des princes dépossédés que pour embrouiller les fils qui devaient aider à en sortir. Ce système de lenteurs et d’ajournemens était bien funeste à l’Allemagne. Il laissait planer sur toute la confédération une incertitude qui augmentait les craintes des uns, autorisait les prétentions illimitées des autres, ouvrait un champ sans bornes aux intrigues de tous, et hâtait la décomposition du corps germanique. Mais l’état d’angoisses où se trouvait l’empire entrait dans les calculs de la cour de Vienne. Elle se flattait que, le désespoir armant toute l’Allemagne, les états qui l’avaient momentanément abandonnée viendraient se grouper de nouveau autour d’elle, pour nous chasser de ce pays. En raisonnant ainsi, elle faisait un faux calcul. Comme elle semblait abdiquer sa prééminence dans l’opération du partage, les princes dépossédés se trouvèrent livrés à toutes les impulsions de l’ambition, de la cupidité et de l’intrigue ; le faisceau de la confédération se rompit ; l’esprit d’égoïsme et d’isolement s’empara de tous ses membres ; n’ayant plus de centre commun, plus de chef, ils cherchèrent dans l’étranger un protecteur qu’ils ne trouvaient plus à Vienne : les uns s’attachèrent à la Prusse d’autres à la Russie, mais le plus grand nombre se tourna vers la France, vers la France qui donnait ou ôtait à son gré les couronnes.

Napoléon ne se faisait point illusion sur la durée de la paix maritime et continentale ; il savait bien que ni l’Angleterre ni l’Autriche n’avaient complètement renoncé à nous écarter, la première, d’Anvers et de l’Escaut, la seconde, de l’Italie ; que l’ordre de choses établi par les traités de Lunéville et d’Amiens n’était que provisoire, et que tôt ou tard la France serait obligée de reprendre les armes pour défendre et compléter son ouvrage. Dans cette prévision, il était naturel qu’il cherchât à affaiblir l’Autriche en Allemagne, comme il l’avait déjà affaiblie