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THÉÂTRE ESPAGNOL.

gieux et dans quelques autres ouvrages encore, il a su exprimer admirablement la puissance du sentiment de la foi. Il y a d’ailleurs dans tout ce qu’il a produit, surtout en ce genre, une verve de poésie fantastique qui lui est particulière et qu’on ne retrouve au même degré dans aucun de ses contemporains. On risquerait donc de se tromper si l’on voulait chercher en lui l’exacte mesure de son siècle. La comédie si célèbre en Espagne du Diable prédicateur, œuvre d’un génie moins éminent, quoique bien remarquable encore, peut être considérée comme un écho plus exact des impressions religieuses du temps dans ce qu’elles avaient d’élevé, de puissant, de vraiment original.

Le Diable prédicateur appartient à la classe des drames anonymes, si nombreux dans le répertoire espagnol ; les opinions qui l’attribuent soit à Louis de Belmonte, soit à tel autre poète du règne de Philippe IV, ont en effet trop peu de consistance pour qu’on puisse s’y arrêter avec quelque apparence de certitude.

Pour bien apprécier ce singulier ouvrage, il faut d’abord constater l’esprit dans lequel il a été composé. Le but de l’auteur était de glorifier l’ordre religieux des franciscains, d’exciter en sa faveur la dévotion et la munificence des fidèles, et ce but, il paraît qu’il l’avait complètement atteint. Pendant bien long-temps, en effet, lorsque ces moines, si populaires en Espagne, croyaient s’apercevoir d’un relâchement dans l’espèce de culte dont ils étaient l’objet, d’une diminution dans la somme des aumônes qu’on leur prodiguait, ils demandaient qu’on remît sur la scène le Diable prédicateur : cet expédient bizarre était, dit-on, d’un effet assuré. On comprend ce qu’offre de curieux, pour l’étude de l’histoire et de l’esprit humain, l’examen du drame qui agissait ainsi sur les imaginations.

L’action se passe à Lucques. Le prince de l’abîme, Lucifer, monté sur un dragon ailé, fait en ce moment un voyage autour du monde pour s’assurer par lui-même de l’étendue de sa puissance. Il appelle Asmodée, à qui il a laissé en son absence le gouvernement de l’empire infernal. Il lui raconte ce qu’il a vu et les projets nouveaux que lui ont suggérés ses observations. Il a trouvé les neuf dixièmes de la terre soumis à son obéissance, plongés dans les ténèbres de l’islamisme ou adorant de fausses divinités. À peine quelques contrées de l’Europe reconnaissent-elles la loi du vrai Dieu. Parmi les ordres religieux qui y sont établis, et qui, par leurs prières, désarment la colère du ciel, irrité de tant de profanations et de crimes, il en est un qui a surtout frappé l’attention de Lucifer, et dont il ne parle qu’avec un douloureux emportement, parce qu’il y voit le principal instrument du salut des ames, le principal obstacle au succès de ses efforts c’est l’ordre des franciscains. Le poète place ici dans la bouche du démon un résumé des légendes et des traditions qui ont popularisé dans la Péninsule la mémoire de saint François ; il rappelle, par des allusions rapides qui prouvent combien ces traditions étaient alors universellement connues, les similitudes que la faveur céleste avait voulu établir entre la vie du sauveur des hommes et celle du fondateur des