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THÉÂTRE ESPAGNOL.

de Patrice, qui, après avoir entendu sa confession, l’autorise à tenter l’épreuve qu’il sollicite avec tant d’ardeur et lui remet une lettre par laquelle il le recommande au prieur d’un chapitre de chanoines réguliers, préposés en quelque sorte à la garde du purgatoire. Le bon religieux, loin de céder aux premières demandes de Ludovic, le supplie de ne rien précipiter, de réfléchir mûrement à ce qu’il se propose, de ne pas s’exposer témérairement aux supplices de l’enfer ; il lui dit que de tous ceux qui sont entrés jusqu’à présent dans la caverne fatale, on n’en a vu sortir qu’un bien petit nombre. Ludovic persiste, et le prieur, cédant enfin, lui fait ouvrir la porte du gouffre qui se referme aussitôt sur lui.

Au jour fixé pour le terme de cette redoutable épreuve et où, par conséquent, il doit revoir la lumière s’il est destiné à la revoir jamais, les chanoines, qui n’ont cessé d’invoquer le ciel en sa faveur, l’attendent à l’entrée du purgatoire. La reine, fille d’Égérius, le roi, son époux, celui même à qui Ludovic voulait naguère donner la mort, la malheureuse Polonia qu’il a jadis traitée avec tant de cruauté, l’attendent aussi. Le prieur ouvre solennellement la porte de la caverne, et Ludovic se présente à leurs yeux. Après avoir remercié le ciel de sa délivrance, il leur fait un long récit des prodiges dont il vient d’être témoin, récit assez semblable à celui de don Quichotte sortant de l’antre de Montesinos, ou à une scène de réception maçonique. À peine entré dans la caverne, il s’est vu assailli par des êtres monstrueux qui, moitié par leurs menaces, moitié par leurs mauvais traitemens, ont essayé de l’effrayer et de le décider à retourner sur ses pas, sans pousser plus loin l’aventure. Il les a mis en fuite en invoquant le nom de Jésus. Il a entendu les gémissemens et les blasphèmes des damnés, il les a vus, au milieu des flammes, les uns percés de flèches ardentes, les autres attachés à la terre par des clous de feu, d’autres encore dont des serpens de feu dévoraient les entrailles. Plus loin, des démons pansaient leurs plaies en y versant du plomb et de la résine bouillante. On lui a montré le bain des délices, où les femmes, livrées pendant leur vie aux recherches de la volupté, étaient plongées dans un lac de glace ; des couleuvres cachées dans l’eau les déchiraient. Non loin de là, d’autres malheureux sortaient continuellement du sein d’un volcan enflammé, et à l’instant on les y replongeait comme pour raviver leurs tortures. Passant de l’enfer dans le purgatoire, il y a vu des souffrances non moins grandes, supportées avec courage et même avec cette espèce de joie qui s’attache à l’espérance ; là, au lieu de chercher à l’épouvanter, on lui a prodigué des paroles d’encouragement et de consolation. Un fleuve de soufre, dont les rives étaient ornées de fleurs de feu, s’est ensuite offert à sa vue. Des hydres et des serpens en couvraient les flots. Sur ce fleuve s’élevait un pont tellement étroit, que ceux qui essayaient de le traverser ne pouvaient s’y soutenir et tombaient l’un après l’autre au milieu des monstres qui les mettaient en pièces. Forcé lui-même de tenter cette terrible entreprise, c’est encore à l’aide du nom de Jésus qu’il est parvenu à l’achever. Arrivé sur l’autre rive, il y a trouvé les délicieux jardins du paradis, des bois de cèdres et de lauriers, la terre couverte de fleurs bril-